UNE AFFAIRE D'ETAT
Vendetta
Qu’il est agréable de découvrir sur grand écran un film de ce calibre, et français de surcroît ! Quatrième long-métrage du jeune Eric Valette, "Une affaire d’état" s’inscrit dans la glorieuse lignée des thrillers politiques d’Yves Boisset ou d'Alan Pakula, investissant son contexte sulfureux pour mieux s’engouffrer dans le polar teigneux et radical.
Adaptant un roman saisissant de Dominique Manotti, le réalisateur de l’efficace "Maléfique" assume son ambition d’un polar sans concession et fonce dans le tas avec une virulence qui fait plaisir. Prenant pour contexte une situation politique ambiguë et lourde de sens, Valette ne traite pas tant de trafic d’armes et de manipulations étatiques qu’il dresse le portrait contrarié de personnages en état de crise permanente et dont le rapport, forcément contradictoire, à la morale, ne cessera d’être éprouvé tout le long d’une intrigue mouvementée et riche en suspense.
A un bout de l’histoire, le personnage de Nora Chahyd, vigilante au féminin, adepte du tabassage de suspect et bien décidée à mener son enquête jusqu’au bout. Extrémiste dans ses idéaux (voire quasi-fasciste, pourrait-on dire), ambitieuse dans son parcours, elle se révèle loin du cliché de la fliquette beurre, comme on pouvait le craindre, l’extraordinaire Rachida Brakni créant un personnage n’ayant rien à envier aux flics durs à cuir décrits par l’écrivain James Ellroy dans ses romans les plus noirs (on pense parfois au Russell Crowe violent de "L.A. Confidential", toutes proportions gardées).
A l’autre bout de l’histoire, François Bornand symbolise ces hommes de l’ombre travaillant au sein des gouvernements, résolvant les crises tout en gérant, au mieux, leur propre intérêt personnel. Proche d’un personnage de western, cache-poussière noir inclus, André Dussollier prête sa silhouette élégante et son charisme naturel à ce conseiller occulte, obéissant à un code d’honneur archaïque, proche du pouvoir, tentant de résoudre dans la discrétion une affaire d’état qui le dépasse rapidement.
Entre ces deux figures archétypales, l’électron libre : ex-barbouze accroc à la drogue et enclin à de tétanisants accès de violence, Michel Fernandez est le trait d’union entre les différentes intrigues du film, celui par lequel tout finit par arriver. Campé par Thierry Frémont, terrifiant et solide comme un roc, Fernandez justifie à lui seul la vision du film. Au centre des meilleures scènes (dont une courte fusillade dévastatrice et une course-poursuite exténuante dans les rues de Pigalle), il est le personnage-clé d’une histoire entre polar (c’est un tueur) et politique (c’est un homme de main).
Rythmé par une musique évoquant les grandes heures du cinéma populaire italien (polar ou western), jusqu’auboutiste dans son traitement de la violence (voir la fin expéditive du plus beau personnage du film, flic intègre fan de western spaghetti et interprété par l’excellent Gérald Laroche), proche du cinéma de Michael Mann dans sa gestion des seconds rôles, réalisé avec passion et discernement (d’abord distante et posée, la caméra se rapproche progressivement des personnages, tournant autour d’eux jusqu’à un ultime gros plan), "Une affaire d’état" s’impose comme le complément indispensable aux films de Jean-François Richet ou Olivier Marchal, certes réussis mais un peu trop policés. Une série B jouissive et intelligente n’oubliant jamais son statut de divertissement couillu et frondeur, qui donne envie de découvrir l’inédit "Hybrid", film de voiture tueuse réalisé par Valette aux Etats-Unis. A n’en pas douter, la révélation d’un futur grand.
Frederic WullschlegerEnvoyer un message au rédacteur