UN PROPHÈTE
De battre notre coeur s’est arrêté
Malik El Djbena est condamné à six ans de prison. Ce jeune homme un peu fragile, qui ne sait ni lire ni écrire, va devoir contre son gré exécuter la requête meurtrière que lui impose César Luciani, un co-détenu qui est aussi un parrain extrêmement influent de la mafia corse. Celui-ci lui promet en échange de le placer sous sa protection. D’abord soumis, Malik s’instruit, s’endurcit et commence à développer son propre réseau avec les autres communautés…
Avec “Sur mes lèvres” et “De battre mon coeur s’est arrêté”, Jacques Audiard a su se distinguer par la rigueur de son style et inventer un cinéma sombre, violent, ultra-réaliste. Avec la précision d’un chirurgien, il s’est attaché à décrypter des univers opaques et à percer à jour des mécanismes humains peu reluisants, n’hésitant pas à disséquer les âmes et à taper là où elles ont mal pour révéler leur véritable visage.
Avec “Un prophète”, il va encore plus loin et signe son film le plus abouti. Plus loin dans le réalisme, en adaptant le scénario original d’Abdel Raouf Dafri et de Nicolas Peufaillit avec un souci hallucinant du détail qui n’autorise aucune faille. Plus loin dans l’horreur, avec une incursion effroyable dans l’univers carcéral, véritable société dans la société qui gère depuis l’intérieur les règlements de compte extérieurs, et où les rapports de force sont biaisés. Enfin, plus loin dans l’immersion psychologique, avec un personnage central troublant du début à la fin (magnifique premier rôle pour le jeune Tahar Rahim), dont chaque apparition est une pierre posée à cet imposant édifice.
Audiard prouve là encore qu’il sait mieux que personne raconter les histoires de déchéance et de rédemption, de pouvoir et de soumission. A mesure que Malik grandit et comprend ce qui se passe, les pièces du puzzle s’assemblent tout autour de lui. Et tandis que la mécanique générale s’éclaircit, le jeune homme parvient à retourner la situation à son avantage, inversant au passage sa propre condition. Ce glissement subtil, Audiard le restitue grâce à un habile montage, qui fait monter la pression sans prendre de raccourcis.
Il y a quelque chose de mystique dans ce film, dont le titre évoque une quête spirituelle et qui sort même parfois des sentiers de la rationalité. Audiard est un cinéaste magicien qui, grâce à la perfection de sa mise en scène, transcende la complexité de l’intrigue et magnifie ses sujets, allant jusqu’à rendre gracieuses des scènes d’une extrême violence. C’est sans oublier la force de la musique, belle et grave, qui se cale sur la mise en scène en lui donnant du sens. De bout en bout, “Un prophète” secoue les consciences et résonne en chacun pour longtemps. Un grand moment de cinéma, prétendant plus que probable d’une palme d’or au 62e festival de cannes.
Sylvia GrandgirardEnvoyer un message au rédacteur