UN HIVER À YANJI
Un touchant et dépaysant triangle amoureux
Haofeng assiste à un mariage sino-coréen dans la ville frontalière de Yanji. Perturbé par des appels d’un cabinet de psychiatres auquel il indique hésitant qu’il s’agit d’un faux numéro, il remarque une jeune guide, Nana, ramenant des touristes à l’hôtel où a lieu la réception. Le lendemain, il participe à une excursion et fait sa connaissance. Celle-ci l’invite à se joindre à elle et un ami, Xiao, qui travaille dans le restaurant de sa tante, pour dîner…
"Un Hiver à Yanji" s’ouvre sur le découpage de blocs de glace à la tronçonneuse, dans une rivière, et leur transport. Une manière sans doute de poser d’emblée la parabole qui va sous tendre toute l’intrigue de ce film enneigé au tact immense. Une parabole concernant les sentiments de chacun des trois personnes, qui restent figés pour différentes raisons, et seront amenés ici à s’éveiller progressivement. Car non seulement le long métrage est profondément dépaysant, par ses décors blancs contrastant avec les milles couleurs d’une vie nocturne dont tente de profiter la jeunesse locale, par la découverte de cette frontière entre la Chine et la Corée du Nord, et ses coutumes et costumes presque irréels, mais il dresse avant tout fait le délicat portrait de trois jeunes écorchés, dont le contact chaleureux va les amener à changer.
Les trois interprètes s’avèrent des plus justes, à la fois intrigants et touchants, de la guide à la mystérieuse blessure au pied, au financier de Shanghai déprimé, qui semble vouloir couper avec un suivi psychiatrique, en passant par l’employé du restaurant qui rêve d’un ailleurs. Leurs douces errances, leur complicité naissante, leurs émotions partagées face à une chanson jouée tendrement à la guitare, dessinent le portrait d’une jeunesse enfermée dans un carcan, que la valeur travail étouffe voire épuise, tout comme les notions de performance obligée ou de destin familial tout tracé. La figure récurrente du voleur recherché, dont on voit les affiches de récompense de partout, sert au final de repère d’un élan de liberté brimé, tout en servant de base à une interrogation sur la valeur de l’existence de chacun, en tant qu'individu. Un très beau film, signé Anthony Chen ("Ilo Ilo"), tourné vers la vie, invitant autant à la contemplation qu’à un ralentissement de l’existence, mais engageant surtout à avancer malgré les obstacles ou traumatismes.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur