TROIS JOURS ET UNE VIE
Un nœud coulant cinématographique
En 1999, un enfant disparaît soudain à Olloy, dans les Ardennes belges, trois jours avant Noël. Devant l’absence d’indices, la suspicion finit par toucher tour à tour plusieurs villageois jusqu’à ce qu’un autre événement tragique ne vienne alors mettre un point d’arrêt à l’enquête. Il faudra attendre quinze ans pour que cette affaire revienne sur le devant de la scène par un jeu du hasard, forçant ainsi un ancien enfant du village devenu adulte à se confronter à son passé…
On doute qu’un tel film avait tout à gagner à sortir en début d’automne : malgré ses très nombreuses qualités, la tension et la mélancolie qui irriguent chacune de ses scènes (sans parler du décor bien réfrigérant des Ardennes) ont le chic pour coller à cette grisaille ambiante qui surgit comme à chaque fois que la chaleur de l’été a plié boutique. Ce qui n’empêche pas le résultat de nous scotcher au fauteuil avec une rare force, qui plus est si l’on est un néophyte du livre dont il s’inspire. Nouvelle adaptation d’un roman de Pierre Lemaître après le récent "Au revoir là-haut" (on imagine d’ailleurs que c’est le seul triomphe critique et public du film de Dupontel qui a motivé sa mise en chantier), "Trois jours et une vie" s’avère infiniment plus stimulant en se coulant avec force dans les conventions du film noir, période Clouzot ou Chabrol. Sa bande-annonce était d’ailleurs trompeuse : en lieu et place d’un mystère à élucider, le premier quart d’heure nous sert la vérité sur un plateau (on restera muet), et l’astuce du scénario – très proche de celle de "La Corde" d’Hitchcock – consistera dès lors à suivre la lente et difficile progression d’une enquête, parfois interrompue, souvent relancée, plaçant ainsi le coupable dans un zigzag émotionnel de plus en plus intenable. D’où une tension graduelle qui ne cesse de monter, réveillant chez le spectateur – complice parce que témoin – un sentiment de culpabilité équivalent à celui du coupable. Un film « nœud coulant » ? Oui, pas loin…
Si l’accent a été mis moins sur le mystère de l’intrigue que sur la psychologie, c’est bien parce que Nicolas Boukhrief est aux commandes. L’ancien critique de Starfix devenu cinéaste a déjà prouvé qu’il savait jouer avec nos nerfs (revoyez son "Convoyeur" si vous en doutez), moins par sa maîtrise de l’action que par la complexité des portraits psychologiques qu’il nous invite à disséquer de très près. Les acteurs, tous prodigieux, offrent ainsi des prestations tour à tour fiévreuses et intériorisées qui disent tout de la douleur collective, du silence imposé et de la culpabilité refoulée, en particulier le tandem mère/fils formé par Sandrine Bonnaire et Pablo Pauly, qui mérite tous les éloges. Plus le film avance, via un découpage linéaire et daté qui fait primer la progression narrative et l’identification aux personnages sur tout le reste, plus la situation se tend comme un arc, nous laissant parfois dans le doute – voire la frustration – du moment où elle pourrait enfin s’ouvrir sur un climax. S’il s’autorise un petit morceau de bravoure spectaculaire sur fond de CGI numériques (peut-être le point faible du film), Boukhrief maîtrise sa mise en scène avec un art consommé du low profile, ne comptant ici que sur de légers panoramiques et des jeux sur l’arrière-plan pour faire monter la tension. Les ultimes scènes du film, chuchotant les non-dits d’une communauté et laissant l’humanité taire sa souffrance sous une neige de réveillon du nouvel an, sont d’une mélancolie à déchirer le cœur. Ce sont elles qu’on peine à oublier lorsqu’on quitte ce récit poignant.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur