THE TRIP
Partie de campagne
« The Trip » est la contraction, en un long-métrage d’une centaine de minutes, d’une mini-série produite pour la chaîne britannique BBC, divisée en six épisodes titrés chacun du nom d’un restaurant traversé par les deux protagonistes, au cours d’un séjour culinaire dans le nord de l’Angleterre. Ce principe unique de « balade comique et culinaire » est essentiellement porté par le duo Steve Coogan / Rob Brydon, deux représentants de la scène humoristique britannique peu connus de notre côté de la Manche, qui profitent de l’enquête gastronomique commandée par The Observer auprès de Coogan pour palabrer de tout et de rien, et surtout remettre en cause leur statut d’icônes du rire, tout en dégustant la crème de la cuisine chic à l’anglaise. La réussite de ce « trip » sans script, rythmé par des dialogues improvisés au cœur de la campagne britannique, semblait toute aussi improbable que la découverte d’une vraie gastronomie anglo-saxonne. Et pourtant.
Si l’arrière-fond alimentaire est loin de n’être qu’un prétexte, l’idée de la balade, elle, est totalement fallacieuse : il fallait bien trouver une raison pour que le créateur du journaliste véreux Alan Partridge (l’un de ses avatars fétiches), Steve Coogan, partît ainsi sur les routes pluvieuses avec son compagnon / Némésis. Rob Brydon, lui-même doté d’un merveilleux talent d’imitateur, n’est pas vraiment le premier choix de Coogan. Celui-ci se retrouve le bec dans l’eau en apprenant que sa compagne du moment, Misha, qui devait au passage profiter des gueuletons britanniques avec lui, est retournée aux USA le temps de faire un break. Il lui faut un camarade de route pour l’enquête de The Observer, et ce sera Brydon, le seul de ses amis libres et, sans doute, l’un de ses rares vrais amis. Dans les premières minutes, l’ironie mordante de Coogan, qui semble profondément mépriser l’expression comique de son sidekick, dissimule tant bien que mal une sous-jacente atmosphère dépressive qui affleure dans le regard, parfois perdu vers l’horizon, du clown triste.
Coogan a beau faire son vaniteux, refusant de dormir dans la même chambre que Brydon sous prétexte que la réservation à l’auberge n’a pas été modifiée, la promiscuité brise bientôt son aspect ronflant pour lui préférer une distanciation protectrice. L’homme qui fait rire les autres n’a d’abord rien d’un drôle ; le troubadour prêt à tout pour arracher un sourire craint lui-même d’extérioriser ses sentiments en public. Il n’en est que plus touchant, et plus juste.
Ces repas de fauves entre Coogan et Brydon, loin d’être aussi ennuyeux qu’ils le pourraient sembler de prime abord, se révèlent joyeux et passionnants, rythmés par des conversations culturelles à bâtons rompus, elles-mêmes balancées entre références sérieuses et imitations de personnalités du cinéma. Entre deux bouchées, les gastronomes d’opérette s’affrontent verbalement pour déterminer lequel parvient le mieux à reproduire l’accent de Michael Caine (de plus en plus grave et traînant à mesure que le temps passe !) ou les borborygmes d’Arnold Schwarzenegger. Drôles et fascinants, ces duels d’imitations touchent d’autant plus justes qu’ils stigmatisent l’impuissance de ces deux hommes à être authentiques, d’où leur surcapacité à imiter plutôt qu’à être vrais. Cette révélation vaut surtout pour Coogan, véritable névrotique, qui profite finalement des après-repas gastronomiques pour réfléchir sur sa vie et sa relation amoureuse, et digérer autant la nourriture que les déceptions.
Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur