TRANCHÉES
Vertige historique
À partir de 2014, dans l’Est de l’Ukraine, des séparatistes pro-russes et l’armée ukrainienne s’affrontent pour le contrôle du Donbass. Le conflit s’enlise et des tranchées sont creusées…
Dès les premières images, l’atmosphère est palpable : bien que le conflit filmé soit ancré dans un contexte précis, nous sommes dans un espace universel et, surtout, hors du temps. Et une évidence est frappante : le choix du noir et blanc amplifie la sensation de retour en arrière, comme si ces combattants ukrainiens étaient propulsés en 14-18. Qui peut croire que, malgré un siècle d’évolution technologique, on puisse encore faire la guerre ainsi ? Il n’y a certes plus de baïonnettes, ni d’attaques massives et suicidaires comme avec les « Poilus » de la « Grande Guerre » ; les moyens de communication et de divertissement ne sont plus les mêmes... Pourtant, ce documentaire, en se concentrant sur le quotidien du 30ème bataillon de l’armée ukrainienne dans ces tranchées, perturbe pour ses allures anachroniques.
L’humanité a-t-elle si peu changé en cent ans ? Au fil des séquences, on perçoit tantôt l’absurdité de la guerre, tantôt l’héroïsme de ces personnes qui luttent à la fois pour leur propre survie et pour l’intégrité de leur patrie. On tremble avec ces hommes et cette femme (oui, une seule) lorsque la caméra accompagne les secousses ou les courses en cas d’attaque ou de riposte de l’ennemi. Pendant près d’1h30, nous sommes un peu là-bas, percevant le vécu de ce régiment, tant dans les moments de tension extrême que dans les longues heures de relâchement, entre attente, oisiveté et activités diverses (creuser, renforcer, jouer, s’entraîner à lancer un couteau, nettoyer…). Vers la fin, un court passage en couleur donne une autre dimension au choix du noir et blanc : le front apparaît alors comme un espace-temps irréel, où la vie normale peine à se frayer une place.
Evidemment, ce film prend une tout autre valeur en sortant environ deux mois après l’invasion de l’Ukraine par la Russie. On ne peut s’empêcher de penser que la situation était presque tranquille quand ces images ont été filmées !
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur