LE TOUT NOUVEAU TESTAMENT
Jaco le Croquant
Dieu vit à Bruxelles en compagnie de sa femme et de sa fille. Cette dernière s’appelle Ea, elle a dix ans et ne supporte plus le caractère cynique et inhumain de son père, qui gère les malheurs du monde avec une cruauté et une misanthropie insensées. Il lui faut agir. Un soir, elle pénètre sans autorisation dans le bureau de son père et envoie par SMS les dates de décès à toute la planète. Fuyant sa maison, elle doit ensuite trouver plusieurs apôtres afin d’écrire le Tout Nouveau Testament…
Jaco Van Dormael et la Croisette, c’est une histoire d’amour qui dure depuis longtemps, plus précisément depuis une Caméra d’or remportée pour "Toto le Héros" en 1991 et le Prix d’interprétation collectif pour "Le Huitième Jour" en 1995. Très peu de films réalisés (quatre seulement) pour ce cinéaste belge aussi inventif que totalement frappadingue, attaché aux narrations en forme de conte fantastique (c’est en général la voix off d’un enfant qui guide ses films) ainsi qu’aux interrogations existentielles. Ici, la question est simple : que faire des jours qu’il nous reste à vivre ? Question simple que Van Dormael traite avec simplicité et ludisme, mais qui, soyons honnêtes, reste reléguée au second plan. Si "Le Tout Nouveau Testament" fut jugé par beaucoup comme le film le plus délirant présenté cette année à Cannes (toutes sections confondues), ce n’est absolument pas un hasard : le nouveau film du réalisateur de "Mr. Nobody" s’impose sans difficulté comme un incroyable rollercoaster, regorgeant de gags hilarants (à peu près un toutes les dix secondes) et de trouvailles visuelles inédites (idem). Et ne comptez pas sur nous pour vous les révéler…
Revisiter la Bible sous un angle barré et ludique donne souvent des résultats assez inventifs – Kevin Smith et les Monty Python en savent quelque chose. Van Dormael se fait ici naïf et optimiste sur le monde d’aujourd’hui : la religion n’est pas ici pour lui un outil à générer du prêchi-prêcha prosélyte (il se définit lui-même comme non-croyant), mais plutôt un angle pour mieux évoquer la présence du Mal au fil des siècles et la façon dont le Bien peut revenir au premier plan. En donnant de Dieu l’image d’un personnage en slip sale qui fume, picole, dénigre les êtres humains et accumule les ignominies (Benoît Poelvoorde s’en donne à cœur joie !), le réalisateur ne fait pas de mystère sur l’origine des problèmes du monde : l’homme lui-même. Du coup, au fil d’un récit imprévisible qui enfile comme des perles les ruptures de ton et les personnages hauts en couleur (tous capables du pire comme du meilleur), le film s’impose comme un antidépresseur atomique qui passe deux millénaires d’Histoire à la mitrailleuse burlesque, tout en pervertissant le caractère imprévisible des lois du destin, tel un élastique que Van Dormael s’amuserait à tordre. À titre d’exemple, on jubile devant ce running-gag d’un cascadeur qui, sachant déjà l’heure à laquelle il mourra, prouve face caméra qu’il sortira vivant d’un saut en parachute raté ou d’une tentative de suicide !
Le casting étant toujours l’une des grandes forces du cinéma de Van Dormael, on ne s’étonnera pas de retrouver la crème du cinéma belge dans des rôles taillés à leur mesure (Damiens, Poelvoorde, Moreau, Larivière, Leysen, etc.), et de constater à quel point la grande Catherine Deneuve n’a décidément peur de rien (non, désolé, on ne peut rien révéler !). Il y aurait encore tant de choses à dire sur la pureté du propos, la richesse d’une mise en scène blindée d’idées folles ou les barres de rire qui menacent sans cesse de nous rouler en nem sur la moquette. Mais ça ne servirait à rien : "Le Tout Nouveau Testament" vise avant tout le plaisir instantané du spectateur et ne mérite donc que d’être apprivoisé lors d’un visionnage sur grand écran pour en savourer chaque trésor. Ce qui est sûr, c’est qu’en sortant de la salle, on a le cœur en montgolfière et on n’a qu’une seule envie : croquer la vie à pleines dents. En ces temps de crise, autant dire qu’un tel cadeau ne se refuse pas.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur