TOTO ET SES SOEURS
Échapper à son milieu
Par certains aspects, "Toto et ses sœurs" relève de la véritable prouesse. Alexander Nanau réussit en effet à filmer (ou faire filmer) la misère de l'intérieur. Souhaitant réaliser un documentaire sur les conditions de vie de la communauté Rom, le réalisateur a rencontré de nombreux enfants qui n'avaient en apparence aucune chance de s'en sortir. Il a obtenu de leur mère, alors emprisonnée, l'autorisation de filmer au quotidien l'ensemble de la fratrie : Ana (17 ans), Andrea (14 ans) et Totonel (9 ans). La première partie du film, dans un petit appartement à l'intérieur du HLM où ils vivent, paraît une véritable fiction, chaque personne présente semblant ne jamais se soucier de la caméra. Puis l'histoire de ces vies sur le fil du rasoir suit son cours, laissant une impression de scénarisation tant les événements se succèdent, autant dans la vie « scolaire » des enfants, que dans celle de la « famille » de plus en plus écartelée et à la marge.
Au fil des 14 mois de tournage (qui furent suivis d'un an de montage), c'est le laborieux apprentissage de la responsabilité et de l'engagement qui est mis en avant, comme la difficile tâche des services sociaux et éducateurs, visant à transmettre l'envie de s'en sortir (vivre ailleurs que dans la crasse, voir autre chose, offrir une perspective, notamment ici par l'apprentissage du hip-hop...). La disposition discrète d'une caméra toujours effacée, sauf quand elle est (en apparence) confiée aux enfants, permet de mettre les protagonistes face à la notion de rejet (du mode de vie de leurs proches) et à la nécessité de s'extirper de leur milieu (via par exemple l'orphelinat). Un choix difficile voire parfois impossible, qui se fait ressentir jusque dans la dernière scène du film, en forme de fin ouverte.
"Toto et ses sœurs", par le choix pertinent de ses protagonistes, mais aussi par les hasards de l'existence, montre la différence de volonté entre les êtres, la tentation que représente la drogue, le difficile équilibre entre répression et éducation. Rares sont les documentaires à avoir su capter la misère et la désagrégation de la cellule familiale, tout en gardant au travers du portrait principal (celui de Totonel) la notion d'espoir au centre du propos. Par ses regards étonnés ou curieux, ce petit bout d'homme redonne espoir en l'humain et en sa capacité de décision salvatrice. Mission accomplie pour Alexander Nanau.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur