Festival Que du feu 2024 encart

LA ZONE D'INTÉRÊT

Un film de Jonathan Glazer

Une vision troublante du bord du gouffre

Le commandant nazi Rudolf Höss et sa femme Hedwig tentent de se construire un petit paradis dans leur pavillon, avec un grand jardin fleuri et une immense serre, situé à deux pas de l’entrée du camp de concentration d’Auschwitz, le mur d’enceinte longeant leur terrain. De la présence du camp, seuls peuvent s’apercevoir les hauts des baraquements et quelques cheminées, alors qu’un bruit sourd semble provenir de là-bas…

The Zone of Interest film movie

C’est finalement l’œuvre perturbante signée Jonathan Glazer, adaptation du roman La zone d'intérêt de Martin Amis (publié en 2014) qui aura retenu l’attention du jury Fipresci en cette 76e édition du Festival de Cannes. Présenté en compétition et également récompensé du Grand Prix du jury, "The Zone of Interest", en se centrant sur les préoccupations quotidiennes de la famille du commandant du camp de concentration d’Auschwitz, parvient à rappeler à chacun à quel point il est aisé d’être insensible et d’oublier progressivement l’horreur qui se déroule dans notre voisinage, mais reste invisible à nos yeux.

Doté d’un impressionnant travail sur le son et la musique, le film joue le contraste permanent, d’un grondement de fond infernal lié aux invisibles fourneaux voisins, à l’apparence paisible d’un jardin fleuri situé le long d’un mur d’enceinte au-dessus duquel pointent ponctuellement toitures de baraquements et cheminées, de bruyants jeux d’enfants autour d’une piscine auxquels semblent répondre, la nuit, quelques cris étouffés par le bruit ambiant, alors qu’une fumée se dégage au loin. Utilisant aussi quelques longs écrans envahis de rouge ou de noir, rappelant par un son envahissant l’enfer qui se déroule juste à côté, Jonathan Glazer met également le spectateur face à sa propre propension à l’oubli.

Suivant les gesticulations de Sandra Hüller en maîtresse de maison, préoccupée par le ravitaillement, un tour de propriété flatteur ou différentes tâches quotidiennes ; donnant à voir les agissements de son mari, ingénieur implacable de la solution finale (il explique avec une froideur mécanique le principe d’un four crématoire circulaire, avec forces plans qui créent une distance clinique avec son terrible usage), rapidement obnubilé par la perspective d’une mutation qui emmènerait sa famille loin de ce « paradis » ; l’auteur parvient à focaliser l’attention du spectateur sur les enjeux propres à ces personnages, lui faisant oublier ceux des âmes invisibles de l’autre côté du mur, comme progressivement ce bruit de fond, sourd, qui se fait moins gênant à l’oreille.

Incarnant ainsi le devoir de mémoire, mais aussi l’indifférence face à d’autres drames qui se jouent à nos portes, il tire en quelque sorte un trait entre passé et présent, encore renforcé par l’utilisation de dialogues contemporains, et non aisément attribuables au milieu du siècle dernier. Si Jonathan Glazer avait l’habitude de nous perdre, brouillant les repères temporels dans "Birth" où Nicole Kidman rencontrait un enfant qui semblait intégrer les souvenirs de son défunt mari, ou spatiaux dans le perturbant "Under the Skin", avec Scarlett Johansson en femme attirant les hommes dans une pièce qui les ingérait littéralement, il réalise ici une œuvre encore plus troublante, les seuls personnages semblant par moment se poser des questions sur la situation étant les plus jeunes enfants, s’arrêtant soudain dans leurs activités, avant d’être happés par un adulte vers leur petit monde idyllique parallèle.

Le titre flou du début, qui se fond progressivement dans le noir, est sans doute également symbolique de cette noirceur de l’être humain, capable du pire, comme de la plus profonde indifférence. Une indifférence, incarnée ici jusque dans la hiérarchie militaire, mais qui se transmet aussi jusque dans la famille, dans les réactions de la mère, comme dans les actes des adolescents déjà embrigadés et un brin sadiques. On pense forcément par moments, à ce sujet, au film "Le Ruban Blanc" de Michael Haneke, autre Palme d’or, traitant elle de la sournoise montée du nazisme. Extensible peut-être à une part de l’Europe ou des Européens qui regardent les conflits syrien ou ukrainien avec indifférence, une fois le flot d’informations installé dans une sorte de routine, "The Zone of Interest" résonne aujourd’hui comme un avertissement, grondant et vrombissant, qui vous pénètre jusque dans ses dernières minutes, créant un malaise qui ne vous lâchera plus dans les jours qui suivent.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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COMMENTAIRES

Chris

mercredi 17 avril - 7h19

Quelle déception! Tout à l’air faux : c’est surjoué, on assiste à une pièce de théâtre, on reste en dehors de cette mascarade. Les bruits de fond sont en boucle avec les cris des SS en français!
j’ai été bouleversée en visitant Auschwitz et Birkenau, aussi par les témoignages des victimes et des bourreaux J’ai lu l’autobiographie de Rudolf Hoess pour comprendre les rouages de cette tragédie
Dans ce film ce n’est qu’ennui et platitude ne suscitant pas la moindre émotion si ce n’est l’épisode en négatif de la petite fille cachant des pommes sous les pelles…
Un court-métrage de quelques minutes auraient suffi si c’est pour dire que : le papa SS est un ingénieur froid, la maman est une bourgeoise hystérique, les enfants sont gentils et la grand-mère est lucide …

Brigit

mercredi 6 mars - 3h43

Bonjour j'ai vu hier ce film et j'en garde un choc ....c'est terrible de voir la vie quotidienne se déroulée juste à côté de l'horreur...avec les bruit de fond cris tirs aboiements fumée...je n'arrive pas cependant à interpréter les rêves...es ce la petite fille( le père la remet au lit à 2 reprises ) qui rêve d'aider les prisonniers en cachant des pommes???
Et la mère dure glaçant qd elle es contrariée...
Très beau film qui reste dans la tête...c'est bouleversant

mercredi 6 mars - 3h34

En évoquant Renoir, père et fils, bonnard et autre tableaux impressionnistes ce film fait la démonstration que le conformisme petit bourgeois est et à toujours été la racine du mal.

mercredi 6 mars - 3h26

Film à voir absolument pour se rendre compte de l'ignominie de pouvoir vivre comme si de rien n'était à proximité de l'impensable. Tout ceci, sans rien "montrer". Tout est dans le subjectif.

M prof HG

mercredi 28 février - 8h37

Film sans intérêt, ni du point de vue historique, ni de celui du devoir de mémoire. D’une platitude sans nom.

Flo

mercredi 28 février - 8h29

seule critique négative de ce film : la durée ! tout aurait pu tenir sur à peine 1 heure comme un génial moyen-métrage. Mais peut-être que sur cette durée longue, veut-il nous habituer nous spectateurs, à l'instar de cette famille, à l'horreur !

wil

mercredi 28 février - 8h28

Très bonne critique

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