THE WHALE
Un terrassant portrait
Charlie, professeur d’anglais, fait croire à ses élèves, auxquels il donne un cours d’écriture en ligne, que sa webcam est en panne. Devenu obèse et reclus chez lui en raison de son poids, tout mouvement étant une épreuve, il reçoit coup sur coup la visite d’un démarcheur de New Life, un mouvement religieux, d’une amie infirmière qui voit son état se dégrader, et de sa fille, Ellie, adolescente, avec laquelle il va tenter de renouer…
Débutant sur un écran noir, dont seule émane la voix du personnage, "The Whale" semble dépositaire dès ses premières minutes, du caractère humble et en retrait de Charlie, homme de 150 kilos, condamné à se déplacer chez lui avec un déambulateur. Son regard enfantin, perdu au milieu d’un immense visage, ne semble pas nous tromper : l’homme a souffert plus que la norme, et son physique d’aujourd’hui en est l’expression, entre le subi et le suicidaire. Le seul espoir qui l’anime semble celui de se racheter auprès de sa fille, adolescente, qu’il n’a pas vraiment connue, et qu’il va même jusqu’à payer pour qu’elle accepte de passer un peu de temps avec lui, dans un jeu de questions réciproques.
Adapté de la pièce de théâtre éponyme signée Samuel D. Hunter, le film est un nouveau tour de force niveau mise en scène pour Darren Aronofsky ("Mother !", "Noé", "Black Swan", "The Fountain"). Au sein de ce huis clos (on ne sort jamais de l’appartement de Charlie), situé dans une semi-pénombre, chaque tentative de mouvement du personnage devient une épreuve, filmée avec empathie. Lorsqu’il veut se coucher, c’est une sensation de tangage, comme sur un bateau, que la caméra et le décor nous transmettent. Lorsque son corps se soulève enfin, c’est une immense masse qui semble être accompagnée dans son effort. Exploitant, de manière méticuleuse, les recoins de l’appartement, tout comme les positionnements des corps, le metteur en scène parvient à rendre dynamique un récit pourtant porté sur la morale, l’humain et la religion.
Sans grandes effusions, le film aborde ainsi avec une rare intelligence la capacité de tout un chacun à aider l'autre, exposant ce qu’il reste d’un homme anéanti. Et le film repose du coup énormément sur la performance de ses interprètes. Nommé à l’Oscar du meilleur acteur pour ce rôle, Brendan Fraser, plutôt habitué aux films d’action comme la saga "La Momie", "Voyage au centre de la Terre" ou encore "George de la jungle", s’offre ici un véritable retour en grâce. Il faut dire que Darren Aronofsky n’a pas son pareil pour remettre en scelle des acteurs ou actrices formidables, mais « passés de mode ». Ce fut d’ailleurs déjà le cas pour Ellen Burstyn dans "Requiem for a Dream", puis de Mickey Rourke dans "The Wrestler". Incarnant sa fille, en permanence sur la défensive, Sadie Sink, la fameuse Max de la série "Stranger Things", se tient à distance, entre réactions agressives, répartie indéniable et farouche indépendance. Quant à Hong Chau, en amie fidèle qui tente de bousculer une dernière fois son ami, elle a un lien bien plus profond que prévu avec sa tragique histoire. Tous contribuent à l’irrésistible émotion qui se dégage de ce huis clos bouleversant d’humanité.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur