THE LAST HILLBILLY
Le son de la terre
Dans les montagnes du Kentucky, certaines tranches de la population des USA se sentent moins Américaines que d’autres. En particulier les « hillbillies », péquenauds des collines des Appalaches, derniers êtres d’un monde de plus en plus sur le point de disparaître…
Tourné pendant pas moins de cinq ans par deux réalisateurs jusqu’ici remarqués pour une poignée de courts-métrages, ce premier film impose immédiatement un style visuel et une force sonore prompts à accrocher le spectateur. Il y a d’abord une voix, celle de Brian Ritchie, protagoniste du récit et poète de sa propre condition d’hillbilly via une voix-off quasi incantatoire. Il y a ensuite ce brillant travail de bande-son à la Philippe Grandrieux, faisant surgir un vacarme stressant et souterrain alors même que les images défilent. Il y a aussi des cadres magnifiant à chaque raccord de plan les monts des Appalaches. Il y a enfin ce désir d’explorer l’État rural du Kentucky comme petit point faisant la jonction entre le monde d’avant (celui des pionniers) et celui d’aujourd’hui. Nous voilà donc face à un film éminemment tellurique, où le son et l’image sont harmonisés de manière à favoriser l’immersion en terre inconnue et la force évocatrice de cette même terre.
Osons le dire, il y a presque du Herzog dans la façon qu’ont les réalisateurs de capter l’âme et le rythme de ce territoire rural délaissé, vision quasi faulknerienne d’une Amérique très « vie de rien » qui persiste consciemment à s’enfermer dans les figures mythologiques qu’elle a elle-même construites. De bout en bout, il s’agit ici d’écouter, d’enregistrer, de comprendre sans juger. Des enfants qui jouent dans une rivière, un petit cimetière où flotte le drapeau confédéré, une discussion au coin du feu où se dessine un schisme implicite entre deux générations, un enfant pris en flagrant délit d’ennui qui insulte chaque composante de l’univers en pleine nuit, et surtout ce leitmotiv marquant où l’appel aux coyotes du haut d’une colline résonne dans le vide, au-delà de la brume environnante qui entoure les collines jusqu’à l’horizon – signe d’un monde condamné qui crie son existence et qui cherche un écho au-delà de son contexte. Au final, "The Last Hillbilly" n’offre certes pas l’ombre d’une demi-information nouvelle sur un territoire déjà exploré par le cinéma indépendant américain depuis des décennies (même notre Jean-Baptiste Thoret s’y était employé dans quelques scènes de son génial "We Blew It"), mais sa chaleur humaine et sa beauté plastique en font assurément un voyage digne d’intérêt.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur