THE GAZER

Un film de Ryan J. Sloan

Poésie de l’égarement

Séparée de sa fille contre son gré, une jeune femme enchaîne les petits boulots pour pouvoir retrouver sa garde. Mais elle doit en plus lutter contre une maladie mentale qui altère sa perception du temps. Une rencontre va peut-être pourtant lui permettre de gagner de l’argent et l’aider à s’en sortir…

Une jeune femme se balade dans les rues de New-York, en écoutant des cassettes via son walkman. Une voix enchaîne alors les directives pour pousser la protagoniste à se concentrer. Pas trop de doute, a priori, le personnage sera une hipster qui adore chiner les objets rétro et qui se drogue aux messages de développement personnel. On ne pouvait pas plus se fourvoyer, "Gazer" étant une œuvre tout sauf prévisible. Car Frankie ne cherche pas à écouter des influenceurs transformés en gourous. Non, si elle s’inflige cette routine, c’est qu’elle souffre d’une maladie dont on ne connaîtra jamais le nom, mais dont les symptômes sont lourds de conséquence : une altération totale du temps et de la réalité. Autrement dit, chaque instant de son existence peut se transformer en une séquence trouble dont elle ne distinguera jamais le fantasme des faits.

Façon Guy Pearce dans "Memento", elle communique alors avec elle-même pour essayer de se remémorer et pouvoir mener un semblant de vie normale. Alors qu’elle a déjà perdu la garde de sa fille, suite au supposé suicide de son époux, notre héroïne multiplie les petits boulots, se rattachant à l’espoir de donner l’impression d’une stabilité compatible avec l’éducation d’un enfant. Une rencontre, promesse d’une somme d’argent importante, va même lui permettre d’y croire un peu plus dans ce quotidien banal des quartiers périphériques de la Big Apple. Mais rien ne va se passer comme prévu, le film basculant dans un thriller paranoïaque à la croisée entre le cinéma de Cronenberg et Polanski. Ultra-référencé, le métrage est un hommage nostalgique au Nouvel Hollywood, où chaque plan laisse transparaître la passion cinéphile dévorante de son réalisateur, Ryan J. Sloan.

Si quelques longueurs viennent quelque peu dissiper le brouillard agréablement nébuleux dans lequel les spectateurs sont plongés, ce premier film s’avère une belle surprise que les sélectionneurs de la Quinzaine des Cinéastes ont eu raison d’inviter sur la croisette. Aussi bien pour son atmosphère que pour la maîtrise de sa tension, "Gazer" s’impose comme une œuvre audacieuse et réussie, où les faux semblants n’ont pas besoin de réponse rationnelle et où les cauchemars sont tout autant diurnes que nocturnes. Au-delà de ses qualités plastiques, cet objet arty envoûte grâce à la prestation ô combien saisissante, d’Ariella Mastroianni, écorchée vive au regard révélateur d’une vérité qu’aucun mot n’aurait pu transfigurer. Une actrice et un metteur en scène de plus à suivre !

Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur

Laisser un commentaire