TESNOTA – UNE VIE À L’ÉTROIT
Un drame intimiste soigné mais trop abstrait
Dans le Caucase du Nord, un jeune juif et sa fiancée sont kidnappés. Toute sa famille va alors s’organiser pour payer la rançon réclamée, ce qui laissera des traces indélébiles et brisera à jamais l’équilibre de cette communauté…
Pour son premier passage derrière la caméra, Kantemir Balagov a décidé de s’intéresser à un fait divers s’étant déroulé dans sa ville natale. Nous sommes à la fin des années 90 dans une petite bourgade du Nord Caucase ; deux jeunes fiancés juifs se font kidnapper. Mais au lieu de se focaliser sur le rapt en lui-même, le cinéaste préfère pointer son objectif sur les conséquences pour la famille, sur l’adversité à récolter une somme exorbitante probablement gonflée par des préjugés antisémites. Car le sujet du film est bien là : traiter par le prisme de l’intime les rapports communautaires dans cette région de la Russie, en particulier entre les populations juives et kabardes.
Autopsie d’une cellule domestique en crise, le métrage développe avec maestria la psychologie de ses protagonistes, les interactions ambiguës et ambivalentes d’êtres à la dérive. Sans jamais grossir le trait ou recourir à des artifices larmoyants, la caméra sublime la détresse de la jeune sœur, dessinant en très peu de scènes tout son mal-être, elle qui défie ses parents en sortant avec un jeune kabarde et dont le dialogue avec sa mère semble définitivement rompu. Pour autant, le metteur en scène ne condamne pas l’attitude des parents, capturant dans toute sa complexité cette histoire d’amour familial sans jamais y insuffler le moindre moralisme.
Malheureusement, si le néo-réalisateur s’impose immédiatement comme un fin portraitiste, sa trame narrative souffre, elle, d’une absence totale de contextualisation. Difficile ainsi de saisir tous les enjeux du film pour quiconque ne maîtrise pas parfaitement la réalité politique du récit. À titre d’exemple, cette vidéo de décapitation en Tchétchénie s’avère plus être une démonstration de violence gratuite qu’un véritable outil de compréhension de la situation. Dès lors, toutes les actions des personnages perdent de leur symbolique au fur et à mesure que ce drame élégant s’enfonce dans des ramifications obscures. Pire, ne sachant pas comment conclure toutes les pistes suggérées, Kantemir Balagov multiplie les fins potentielles, nous laissant sur une fausse note dommageable…
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur