TATAMI
Ni ippon ni mauvais
Durant les championnats du monde de judo, la judokate iranienne Leila Hosseini et son entraîneuse Maryam commencent par accumuler les succès durant les phases de poule. Au cours de la compétition, elles reçoivent un ultimatum de la République islamique : Leila doit impérativement simuler une blessure et déclarer forfait pour éviter une possible confrontation avec l’athlète israélienne. Malgré tous les efforts de Maryam pour la convaincre, Leila refuse de se plier au régime iranien et à ses tentatives d’intimidation. Du tatami jusqu’aux coulisses s’entame alors un bras de fer aux répercussions terribles…
Les excellentes intentions font-elles forcément d’excellents films ? On a depuis trop longtemps appris à se méfier des films qui, plus ou moins à leur corps défendant, incitent à voir systématiquement la réponse dans la question. Si elle n’est pas exempte de qualités d’ordre purement technique, cette coréalisation du cinéaste israélien Guy Nattiv et de l’actrice iranienne exilée Zar Amir Ebrahimi n’échappe pas à notre méfiance quant à cette obstination – pourtant ô combien défendable – de tancer les procédures violentes et aliénantes du régime iranien. Le souci central vient du fait qu’en l’état, ce soi-disant « film captivant qui marquera l’Histoire » (dixit nos confrères de Variety – lol) peut difficilement se prévaloir de certains échos et références préalables, du genre à conditionner sa nature crypto-pamphlétaire et la galerie de poncifs qui va avec. Il convient d’abord de souligner à quel point l’ombre des "Nuits de Mashhad" plane ici les trois quarts du temps sur "Tatami". Outre des choix de casting plus qu’équivoques (Zar Amir Ebrahimi embrasse à nouveau un rôle de femme prise en étau, tandis que Sina Parvaneh rejoue le vilain intimidant à rictus et Mehdi Bajestani passe ici du statut de bourreau à celui de victime) et une énième évocation de la répression de la lutte des femmes en Iran, c’est surtout la matière narrative elle-même qui suscite la familiarité.
C’est peu dire que l’on reste très client de ce parti pris consistant à pressuriser chaque scène et à user des déplacements ici et là pour revisiter un décor quasi-dédaléen (avant une ville plongée dans la nuit, ici une salle de sport régie par le stress) en un labyrinthe de plus en plus anxiogène, ne serait-ce que parce que le procédé tient constamment en haleine et use du pur mouvement (caméra et acteurs) pour relancer en boucle les règles de la narration. Mais en même temps, on descend fissa de plusieurs étages à force d’être contraint de vivre chaque scène comme un témoignage ad nauseam d’une intimidation toujours plus vicieuse et appuyée, opposant les éternels salauds démiurgiques aux éternelles victimes ostracisées. Et de facto, alors que le thriller d’Ali Abbassi avait su contourner tous les obstacles en enjolivant les conventions du film de serial-killer d’un récit des plus retors et d’un cachet purement atmosphérique, "Tatami" rejoint à son corps défendant bon nombre de fictions manichéennes reposant sur des ressorts scénaristiques aussi lourds que les gros sabots de Ken Loach.
Le fait de situer le film dans le milieu du sport – et a fortiori du judo – n’offre même pas de réelle valeur ajoutée par rapport au sujet, et ce parce que les deux réalisateurs ont choisi d’en faire un simple arrière-plan et non un milieu symbolique. De même que les règles de cet art martial très spécifique ne sont ici jamais exploitées à des fins métaphoriques (ne serait-ce que pour amplifier l’aura du combat féministe face à l’injustice), le choix de la photo noir et blanc frise le gimmick plus arty et accessoire qu’autre chose – on mise tous nos jetons sur le fait que la couleur n’aurait pas fait varier le film d’un iota. Tout cela pour cibler à quel point de tels procédés, s’ils ne se rattachent pas foncièrement à ceux d’une quelconque démarche propagandiste (du genre à flatter l’œil et l’indignation sans susciter un brin de réflexion), ont quoi qu’il en soit le chic pour échouer à rendre justice à l’un des combats des plus importants de notre époque. On ne peut que s’en désoler.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur