STILL RECORDING
Au coeur de la guerre en Syrie
En 2011, la révolution syrienne commence, entraînant dans son sillage des milliers de jeunes qui croient à un autre système. Saaed est dans ce cas. Il quitte Damas pour aller à Douma, avec les troupes révolutionnaires, dans l’espoir de faire tomber les troupes d’Assad. La guerre atteint la ville qui est alors assiégée. Pendant quatre ans, Milad, étudiant des beaux-arts de Damas, un ami de Saaed, filme le conflit. Là où d’autres vont sur le front avec des armes, lui, tient sa caméra, pour la mémoire et pour que les gens sachent…
"Still Recording" se passe au cœur des villes ravagées de Damas et de Douma. On y voit la désolation et l’horreur de la guerre. Une quantité de destructions inimaginable. Des rues creusées au milieu des débris, à l’intérieur des rues de la ville, d’une grande ville.
Il s’agit d’images dont la criante actualité fait remonter en mémoire les photos noires et blanches de l’Europe désolée de l’après-guerre : des immeubles éventrés qui sont encore debouts, toutes les constructions humaines, détruites. Vidées de leur fonction, elles deviennent un tas de gravas sans vie, une ville fantôme. Et pourtant, au milieu des décombres émerge un visage. La caméra prend le temps de s’arrêter, et progressivement des gens et de la vie se manifestent. Certains sont encore ici. Certains ne sont pas partis. Ils n’ont plus rien, ils sont réduits à se construire des galettes avec de la nourriture pour vache... Car le siège dure et dure, ils sont toujours là, chez eux.
Les deux amis sont des gens éduqués, l’un est ingénieur et l’autre était étudiant aux Beaux-Arts de Damas. Ce sont de jeunes hommes, d’une vingtaine d’année, comme la majeure partie des combattants avec lesquels ils séjournent. Quand ces derniers ne sont pas plus jeunes. S’ils sont partis, c’est parce qu’ils croyaient à la possibilité d’une révolution, avant la répression dans le sang. L’un a pris les armes, l’autre la caméra. Ensemble ils ont continué à se documenter et à créer, pour donner le pouls, le ton et l’âme, la vérité de cet espace ravagé.
Ce film est à la fois terrifiant et touchant, ce qui le rend encore plus terrible. Pleines de cinématographie, ces deux heures suspendues, issues de 450 heures de rushes tournés au cœur de l’enfer, montrent une vie qui continue et des gens qui font face, à armes inégales, à un régime qui veut les exterminer. Sans jamais tomber dans le désespoir et en tentant de célébrer la vie, l’action et l’art, ce film se construit comme l’envers de l’information matraquée par les médias de masse. Cette œuvre, constituée comme une errance au rythme des saisons, dans ces lieux rendus indifférenciés tant ils sont défigurés, tente d’aller à la rencontre de ceux qui vivent sur la ligne de front, que ce soit des locaux ou des combattants.
Plein d’émotion et d’honnêteté, jusqu’à la scène finale avec un cadrage accidentel absolument stupéfiant de sens, ce film tente de rappeler qu’avant tout, il y a des humains derrière les informations, de vrais gens, que la caméra a le devoir de saisir. La mission est double : un devoir de mémoire et un devoir de protection par l’information (cf la nécessité de ne pas toucher au missile chimique tant qu’un observateur de l’ONU n’est pas passé). Bouleversant.
Thomas ChapelleEnvoyer un message au rédacteur