SPEAK NO EVIL
Eden Nul
Alors qu’ils sont en vacances en Italie, un couple américain rencontre Paddy et Louise, deux tourtereaux britanniques avec qui ils se lient d’amitié. Afin de prolonger le plaisir, Paddy les invite gentiment à passer le week-end chez eux, dans la campagne anglaise. Ce qui devait être au départ un séjour relaxant devient peu à peu un lieu cauchemardesque…
En 2022, le danois Christian Tafdrup réalise un long métrage intitulé "Ne dis rien", où il met en scène un couple danois qui se rend chez des amis néerlandais fraîchement rencontrés le temps d’un week-end. Peu à peu les masques tombent et l’insécurité autant sociétale que émotionnelle fait surface, et dire que l’ambiance s’en verra sévèrement plombée est un doux euphémisme. Après avoir fait le tour de plusieurs festivals où il a fait son petit effet, la réputation du film arrive un beau jour aux oreilles de Jason Blum de notre très chère boîte de production Blumhouse, aussi géniale et inconsistante soit elle. Il n’en fallait pas plus au producteur pour acheter les droits d’un remake anglo-saxon, seulement quelques mois après sa diffusion.
Un commentaire sociétal, un home invasion, une tête d’affiche ou deux et le tour est joué. "American Nightmare", ça vous parle? Ethan Hawk et Lena « Cersei » Hadey jouant les riches qui se protègent de purges annuelles. L’équation a été payante par le passé ("American Nightmare" a accouché de 5, bientôt 6 petits rejetons et d’une série télé), alors pourquoi ne le serait-elle pas encore plus aujourd’hui où il est plus intéressant pour les studios de nous vendre des concepts déjà connus, des franchises, des films-produits (qui a encore cité "Les cartes du mal" ?), du fast-food cinéma, plutôt que de vraies visions ?
L’idée de remake ou reboot d’un film n’est pas une coutume nouvelle dans le 7ème art et il n’est pas non plus gage de médiocrité : n’oublions jamais, afin d’appuyer ce point, que "The Thing", le chef d’œuvre de John Carpenter, est lui-même un remake du film "La chose d’un autre monde" de 1951 signé Howard Hawks. De plus quelques récents exemples viennent renforcer ce point ("La colline a des yeux" d’Alexandre Aja ou le "Suspiria" de Luca Guadagnino). Il était alors fort concevable que cette nouvelle mouture puisse être tout aussi pertinente d’un point de vue critique sociétale du rapport homme/femme, de la masculinité toxique et de l’insécurité dans le couple, comme pouvait l’être l’original.
James Watkins ici à la barre (qu’on aime beaucoup pour "Eden Lake", un peu moins pour "La dame en noir") retranscrit le récit, certes avec efficacité, mais avec clairement moins de subtilité que son cousin européen. Pire, il ajoute au récit 20 minutes supplémentaires (inexistantes dans l’original) et enfonce son film dans le tout venant de ce qui se prétend thriller psychologique ou film d’horreur aujourd’hui. Il y a tout de même quelques séquences aux belles thématiques à sauver (la discussion tendue autour de l’éducation, le rapport de force silencieux qu’impose Paddy à ses invités ou encore la lâcheté masculine lorsque Ben doit s’affirmer face à Paddy), notamment grâce à une mise en scène presque documentaire et des interprètes au cordeau (mention spéciale à MacKenzie Davis beaucoup trop rare sur grand écran ou encore à Scoot McNairy, génial en mari faillible).
James McAvoy est bien entendu un monstre de muscles et fait un boulot génial pour nous faire ressentir un personnage prêt à imploser, mais un sur-jeux hérité de La Bête de "Split" enlève cette ambiguïté sournoise que celui-ci avait dans le film danois. On imagine que c’est ça de passer du côté US : ça ressemble à ce que vous avez déjà vu, en plus gras et avec moins de goût, mais ça vous restera en bouche ensuite. On parle toujours de cinéma hein ?
Germain BrévotEnvoyer un message au rédacteur