SOUS LA SEINE
Plouf
À l’été 2024, alors que Paris s’apprête à accueillir pour la première fois les championnats du monde de triathlon sur la Seine, une scientifique, épaulée par des activistes écologistes, découvre la présence d’un grand requin mako dans le fleuve, apparemment celui-là même qui avait auparavant causé la mort de son mari et de son équipe dans les eaux du Pacifique Nord. Le bain de sang pourra-t-il être évité ?…
Le fait d’avoir enfin vu la bête ne nous fait pas changer d’avis sur ce que l’on supposait déjà en amont : il n’y avait rien de très malin à caser la diffusion sur Netflix de ce film peu de temps avant l’ouverture de nos Jeux olympiques parisiens. Parce que la stratégie d’un film d’horreur avec un énième Bruce qui fout le souk sur les rives de Paname servirait bêtement – et de façon opportuniste – à alimenter l’éternelle peur de la baignade et le frein à toute compétition sportive dans les eaux usagées de notre capitale ? Non, ça, c’était l’hypothèse bidon. C’est surtout que ce choix de calendrier n’a tellement rien d’hasardeux que la vraie nature du résultat aura tôt fait de rendre ce dernier caduque et bidon dans toutes ses intentions. Contentons-nous de lancer l’alerte sur cette nouvelle soupe de squale qui, en plus d’être servie tiède et sans croûtons aillés, a surtout comme un fort goût de mauvaise rouille. On entend par là cette saveur indémodable que le 7ème Art, plus particulièrement celui dit « de genre » (même si cette expression ne veut désormais plus rien dire), ne cesse de laisser en bouche dès lors qu’il se repose trop sur ses acquis, se contentant de mouliner clichés et poncifs sans jamais chercher à les oxygéner. Pas de quoi s’étonner d’aboutir en fin de compte à un résultat totalement schizo, à la fois trop prétentieux pour assurer son potentiel nanardesque et trop grotesque pour tenir fermement notre suspension d’incrédulité entre ses jaws acérées.
Pour tout dire, dès la dixième minute où Bérénice Bejo se retrouve « treuillée » par un squale en 3D, réussit à s’en libérer et remonte à la surface au ralenti en ouvrant bien grand la mâchoire ensanglantée comme un vampire, on sait déjà que c’est morte saison pour la pêche à la crédibilité. Sept minutes plus tard, apercevoir sur un écran d’ordinateur le trajet WTF du squale du Pacifique Nord jusqu’à Paris a le chic pour susciter chez nous un fou rire par contrechamp. La suite ne sera que douche froide répétée en boucle. Qu’importe que l’on accepte ou que l’on tienne tête à cet argument d’un requin piégé dans la Seine (on s’en fiche du réalisme), c’est surtout l’ennui poli qui nous boulotte aussi bien lors de scènes de tension et d’attaque sans surprise (parce que déjà vues dans le passé et en mieux) que lors de la moindre ébauche d’enjeu émotionnel, à peine digne de ceux d’une fiction consensuelle pour access prime-time de TF1. Les acteurs, contraints à n’être que des fonctions étiquetées, touchent sans cesse le fond, à l’image d’une Bejo qui joue la veuve de service confrontée à son trauma métaphorique (qui a dit Moby Dick ?) ou d’une Anne Marivin en Anne Hidalgo qui se prendrait pour Valérie Pécresse (à moins que ce ne soit l’inverse ?). Pire encore : alors que l’on a toujours pu admirer jusqu’ici l’efficacité de la mise en scène d’un Xavier Gens qui pensait toujours son cadre et son découpage au format cinéma avec une vraie noirceur en bandoulière (revoyez "The Divide" ou "Farang"), le voir se contenter d’un production design restreint et d’une esthétique informe d’épisode de "Demain nous appartient" a valeur d’incompréhensible régression.
Enfin, superposer à cette rétention de spectacle (à peine « sauvée » par un climax apocalyptique avec plein d’obus à côté de la plaque !) une couche d’activisme écolo qui pèse une tonne achève de couler le film. Se présentant d’entrée comme un film sous inspiration darwinienne (rires), "Sous la Seine" cumule non-stop tout un tas d’assertions surécrites et de considérations alarmistes sur la pollution des océans et la présentation des espèces aquatiques – pour la plupart capturées via des écrans dans des écrans – qui font pencher cette soupe tiède vers le prêchi-prêcha lourdaud, comme si la puissance du symbole ne valait rien face au poids du packaging verbal et de la satire crypto-infantile. On peine à croire qu’un certain Yannick Dahan, coréalisateur d’une "Horde" bien vénère mais aussi promoteur punchy – à défaut d’être subtil – d’un certain « cinéma de l’évocation symbolique » dans son émission "Opération Frisson", ait été l’un des cuisiniers d’une telle soupe scénaristique. À un tel stade de désolation, tout ce que l’on peut souhaiter à Xavier Gens est de retrouver au plus vite un projet habité par une vraie ambition de cinéma. Quant à vouloir à tout prix choper le potentiel juste milieu entre "Les Dents de la mer" et "Sharknado", on signalera qu’il existe déjà en DVD et Blu-ray : il s’appelle "Peur bleue", il a été réalisé par Renny Harlin il y a plus de vingt ans, et il sait se montrer jouissif en tension comme en décontraction. À bon entendeur…
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur