SONG TO SONG
Une oeuvre profondément marquée par l’empreinte d’un réalisateur à part
Après "À la merveille" et "Knight of Cups", Terrence Malick semble apposer un point final à ce qui peut constituer sa trilogie de l’amour rédempteur et sa critique de la superficialité d’un monde devenu par essence matérialiste. Poursuivant son exploration de ces thématiques désormais récurrentes, le cinéaste prolonge ses tâtonnements esthétiques, sa poésie de l’instantanéité, en usant généreusement de la caméra à l’épaule et du grand angle (osant même le recours au fish eye pour offrir une image atypique). Si les réfractaires au style malickien pourront décrier un nouveau film où le concept se limiterait à filmer des stars dans des paysages urbains, d’autres y verront l’aboutissement d’une réflexion autour de l’humain, de sa quête de bonheur nécessairement galvaudée face aux tentations omniprésentes de microcosmes scintillants (hier le cinéma, aujourd’hui la musique).
Pour développer son propos philosophique, le réalisateur suit la vie de deux couples. Une ancienne serveuse, une bassiste rêvant de gloire, un chanteur idéaliste et un ponte de l’industrie musicale voient leurs amours et leurs intérêts s’entremêler dans un jeu aussi malsain que sensuel. Car là est bien la nouveauté de ce métrage. Au-delà d’une structure narrative un poil plus linéaire qu’à l’accoutumée, Terrence Malick érotise sa mise en scène comme rarement, la caméra épousant les corps pour offrir au moindre geste une symbolique fiévreuse et charnelle. Capturant la fugacité de l’intime avec grâce et virtuosité, "Song to song", comme son titre le suggère, ne fait que poser la même question continuellement : peut-on vivre de chansons en chansons, de baisers en baisers, sans se soucier du lendemain, des contraintes matérielles et pécuniaires ? Peut-on encore être libre de vivre sans chercher à survivre ? Ne cherchant pas à alimenter des réponses caricaturales, le film se contente d’amener ces interrogations avec une maestria visuelle dissociant désormais définitivement Malick du reste de ses contemporains.
Néanmoins, si les aficionados seront à l’évidence une nouvelle fois séduits par la proposition du Texan, l’abstraction scénaristique poussée à son paroxysme risque d’en rebuter voire d’en agacer plus d’un. Virevoltant entre le génie et la duperie (est-ce qu’il ne s’agirait pas finalement d’un vide admirablement bien filmé ?), "Song to Song" ne devrait pas être l’œuvre qui réconciliera ces deux entités de plus en plus distinctes : les pro et les contre Malick. Très long, ce drame sur fond de rock’n’roll aurait mérité d’être raccourci et de développer ces sous-intrigues (la scène musicale d’Austin apparaissant comme une galerie anecdotique d’artistes connus). Cependant, pour la pureté de son geste cinématographique, le lyrisme se dégageant d’un simple mouvement de caméra, ce nouvel essai d’un metteur en scène hors norme (littéralement) mérite le coup d’œil. Le charme de ces romances envoûtantes touche ou exaspère, mais il ne laisse pas indifférent.
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur