Festival Que du feu 2024 encart

SISTER

Un film de Svetla Tsotsorkova

À trop crier au loup

Rayna vit avec sa mère et sa sœur dans une grande maison au bord d’une route. Chaque jour elles vont chercher de l’argile, ce qui leur permet de survivre. Elles font de la terre de la vaisselle et des sculptures qu’elles vendent aux passants. Et c’est souvent Rayna qui s’en charge, car elle s’invente à chaque fois une histoire familiale tragique qui suscite la pitié des acheteurs. Mais un jour, elle va ramener ses mensonges à la maison…

Sister 2020 film image

Svetla Tsotsorkova livre avec "Sister" une histoire troublante sur la famille. Une histoire universelle, bien qu’elle s’inscrive dans la quotidienneté très personnelle d’une famille de potières bulgares. La bande originale de ce film n’est pas exceptionnelle, mais elle est discrète et bien faite, venant se mêler aux bruits du quotidien de cette famille silencieuse en dehors de Rayna qui est si bavarde et qui ne dit que des mensonges. La bande-son, elle, se compose essentiellement des bruits de la vie et des silences, et des voix qui viennent les rompre ou les recouvrir, souvent à contre-cœur.

Outre une dernière séquence bouleversante, qui fonctionne comme un ballet et où l’image vient chercher l’indicible et permet d’ouvrir le film tout en conservant sa douleur, la mise en scène de "Sister" est très charnelle et relativement discrète. Les visages des acteurs, qui ont tous des « gueules », sont souvent filmés en plan rapproché lorsqu’ils ouvrent la bouche, alors que le reste du temps, comme ils sont définis par leur travail et leur environnement, ils apparaissent dans des plans larges, au cœur du milieu qui les aliène.

L’intrigue se limite à très peu de personnages, ce qui permet une réelle caractérisation. Il y a d’abord Rayna, la protagoniste du film, une jeune fille isolée qui ment, en permanence, pas même par plaisir mais par nécessité, jusqu’à ce que pour la première fois, elle doive réparer les tords qu’elle a causés. Ses mensonges ont blessé sa sœur Kamelia. Cette dernière est nettement plus libre et plus ouverte, plus féminisée et plus entreprenante, que Rayna. Et elle a un amant : le rude Miró « Le Croquemort », un mécanicien œuvrant dans les limites de la légalité, à l’humeur colérique, et se traînant une réputation de coureur de jupons. Au milieu de cet étrange trouble, il y a la mère des deux filles, qui les a élevées seule, sans jamais rien demander à personne. Une grande femme sèche comme une trique, tolérante et dure à la fois.

Monika Naydenova porte ce film. Le personnage de Rayna se caractérise essentiellement par ses mensonges et les histoires qu’elle raconte, mais c’est son jeu corporel et sa force de conviction, qui font qu’elle reste dans les mémoires. Elle est comme une lame de couteau, dure, froide et incisive, avec des grands yeux clairs qui regardent sans ciller et des pommettes hautes. Un visage où ni l’innocence, ni le désir, ni la contrition, ni même la peur ne semblent pouvoir prendre place. Dans ses nombreux face-à-face avec Miró, il est intéressant de voir comment l’image de brute mal-dégrossie de celui-ci s’effondre petit à petit face à la serpe de son regard virginal.

Esthétiquement très soigné, "Sister" a souvent recours à la lumière naturelle ou à des éclairages très minimaux, mais le film n’est jamais froid ou plat. Les scènes sont toujours esthétiquement dynamiques, à l’encontre de l’image d’Épinal d’un cinéma d’Europe de l’Est dépourvu de texture. Chaque personnage dans ce film est double, subtil et paradoxal. Ils sortent tous progressivement du carcan et du stéréotype auxquels ils semblent appartenir pour devenir des êtres nuancés, paradoxaux, blessés, qui cherchent dans les autres, et surtout dans la famille, l’absolution et la fin de leur solitude.

Thomas ChapelleEnvoyer un message au rédacteur

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