SILS MARIA
Rideau de fumée
Maria Edens et son assistante Valentine sont en route pour Zurich où l’actrice de renommée mondiale est attendue pour se voir décerner un prix célébrant sa carrière au théâtre. Lors du trajet, un coup de fil lui annonce la mort de son ami et illustre metteur en scène Wilhem Melchior qui lui avait donné vingt ans plus tôt le rôle qui propulsa sa carrière…
Comme "La Vénus à la fourrure" l’an dernier, Cannes avait dans sa sélection une réflexion sur le métier d’acteur, projetée en dernier jour de festival. Assayas nous emporte dans les montagnes suisses pour nous confronter aux questionnements d’une actrice de vingt ans de carrière, respectée, et qui se voit proposer de rejouer la pièce qui propulsa sa renommée en incarnant une jeune femme ambitieuse poussant au suicide une femme mûre. Cette fois, elle se voit proposer le rôle de la femme mûre. Il est amusant de constater que le sujet du nouveau film d’Olivier Assayas renvoie directement au personnage incarné par Julianne Moore qui se retrouve en face du même dilemme dans le dernier Cronenberg, "Maps to the Stars", également en compétition.
À travers un récit sinueux portant tantôt sur le temps qui s’écoule, tantôt le métier d’acteur, "Sils Maria" happe dans son univers ouaté, à l’image de ces nuages traversant le paysage de Sils Maria. Assayas insuffle des éléments rappelant le sujet de la pièce que Maria doit rejouer. Celle-ci répète aidée de son assistante, Valentine, moitié moins âgée qu’elle, qui lui donne la réplique. Réalité et fiction se confondent, s’entremêlent, se croisent, sans jamais se confronter. Juliette Binoche, particulièrement à l’aise dans cet exercice (on se souvient de sa prestation dans "Copie conforme" qui brouillait également brillamment les pistes), forme un impeccable duo avec l’inattendue Kristen Stewart qui nous sort un jeu aussi subtil que le film. Elle incarne l’assistante jeune, connectée, dévouée et parfois même confidente, à la perfection. C’est celle qui renvoie à la face de Maria à quel point elle peut être en décalage avec son époque ou pleine d’idées préconçues comme, par exemple avant sa rencontre avec la jeune actrice montante qui lui donnera la réplique (Chloë Grace Moretz, elle aussi excellente).
Rythmé par d’excellents dialogues et enveloppé de mystère par une réalisation maitrisée préparant, tout au long de récit faussement ordinaire, une pointe de fantastique qui ne se révèlera qu’à la fin, "Sils Maria" soutient finalement bien mieux la comparaison avec le chef-d’œuvre de David Lynch, "Mulholland Drive", que le dernier film de Cronenberg.
Alexandre RomanazziEnvoyer un message au rédacteur