SATANTANGO
Pour les fans de Bela Tarr
Dans un village perdu au cœur de la plaine hongroise, deux hommes laissés pour morts depuis plusieurs années réapparaissent soudain. Dans ce village où les habitants luttent au quotidien contre le vent et la pluie, les rumeurs se multiplient alors. Ce retour signerait-il l’arrivée du messie ? De Satan ?
Reprise après sortie initiale le 09 mars 2003
Sortie en salles en 3 parties
Voir un film de Bela Tarr constitue une sorte de passage obligé pour tout cinéphile. Parce que l’imposante majesté de son œuvre en fait l’incarnation d’un auteur rare et unique en son genre, ayant imposé un style désormais reconnaissable en cinq secondes d’un même plan. Mais aussi parce que ce cinéaste hongrois continue encore aujourd’hui d’alimenter les clivages, d’éblouir les uns et d’irriter les autres, pour des raisons parfaitement compréhensibles. Auréolé du qualificatif de maître du plan-séquence et amateur de récits opérant autant sur des motifs aussi variés que la répétition et l’errance, Tarr avait atteint une sorte de point d’orgue artistique au début des années 90 avec "Satantango", désormais visible dans une superbe copie restaurée. On lance illico un avertissement : si les expériences contemplatives sur la condition humaine et la métaphysique de la vie telles que les affectionne Andrei Tarkovski vous donnent de l’urticaire, passez immédiatement votre chemin. Même conseil si vous êtes de ceux qui dépriment facilement en voyant le ciel virer au gris foncé ou en voyant l’automne souffler des feuilles mortes ad nauseam. Parce que, oui, les feuilles mortes, il y a en a chez Bela Tarr. Beaucoup. Tout le temps. Et l’heure n’est pas à la rigolade.
Là où Tarkovski capte dans la faiblesse des êtres une foi capable de sauver le monde, Bela Tarr est de ces artistes ultra-pessimistes pour qui la condition humaine est vouée à se dégrader lentement. Chez ses personnages, le désir de gloire et de puissance ne mène qu’à la ruine matérielle et psychologique, et l’objectif à atteindre ne se traduit que par un retour au point de départ. Le tout avec une lenteur contemplative assez éprouvante à vivre (ici, hélas, on n’est pas chez Hou Hsiao-Hsien) et un noir et blanc qui produit sur nos rétines le même effet qu’un café noir sur le palais. De ce fait, on aurait bien du mal à disséquer "Satantango" autrement qu’en faisant une mise au point : les 7h30 que dure ce film-fleuve (l’un des plus longs de l’Histoire du cinéma) placent le spectateur dans une position délicate, envoûté autant que piégé par la régularité lancinante des plans-séquence, et le bloquant dans une atmosphère triste à l’extrême qu’il ne quitte jamais (la réalité est un soulagement lorsqu’on sort de la salle). Qu’on y adhère ou qu’on la rejette en bloc, c’est une expérience à vivre au moins une fois dans sa vie, sans doute parce que ce que l’on en tire n’appartient qu’à soi.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur