SABOTAGE
Allumer le feu…
Tout à tour marqués à vie par une action injuste de la part des entreprises américaines les plus polluantes, huit jeunes individus décident de mettre leurs forces en commun pour faire sauter un oléoduc à deux endroits-clés de l’ouest du Texas. Au fil de leur action sont évoquées les raisons qui les ont fait basculer dans l’activisme écologiste radical, mais aussi les non-dits qui se dissimulent au sein du groupe…
Découvrir ce film en salles était de l’ordre de l’urgence plus que de l’obligation. Parce qu’au vu d’un fond aussi inflammable qui a déjà réussi à faire flipper les autorités américaines (dont le FBI) et qui a valu au film de se retrouver accusé de promouvoir le terrorisme, une polémique identique – voire une interdiction pure et simple de diffusion dans les salles françaises – était à redouter. Son propos ultra-offensif allait-il valoir à l’éco-thriller "Sabotage" de subir le même sort que l’organisation des Soulèvements de la Terre, récemment dissoute par notre gouvernement ? Ce ne fut finalement pas le cas : non seulement le retour critique fut des plus enthousiastes, mais cette adaptation des idées développées par le très controversé Andreas Malm dans son livre éponyme ne se détache jamais d’une vraie ambiguïté dans sa description du moindre enjeu. Le principe est ici très limpide car assimilable à l’action de ses protagonistes : observer le terrain, étudier le périmètre, dénicher les nuances, miser sur l’intellect plus que sur l’impulsivité. Un film réfléchi, donc ? Oui. Loin de vouloir inviter son audience à s’investir dans des actions radicales en faveur de la sauvegarde de la planète et du respect des victimes des entreprises polluantes, Daniel Goldhaber et son équipe de scénaristes-producteurs (dont Ariela Barer, ici également actrice principale) visent surtout à allumer la mèche d’un activisme retors.
De par une narration qui bloque brusquement la tension de certaines scènes par des flashbacks très éclairants (dont deux qui relancent tout à coup les enjeux du récit), le film évite l’engagement frontal en faveur de la dégradation des biens au profit d’un récit qui suit objectivement l’énergie ultra-offensive de son groupe de protagonistes. Des protagonistes très variés et variables, pas forcément militants à la base, tantôt détruits par la vie tantôt rongés par la pression sociale, que le récit s’efforce de creuser le plus possible, histoire de dénicher la légitimité du motif de leur engagement radical. Le déroulement du processus de sabotage d’un énorme pipeline y est alors décrit en détail, certes avec un léger penchant pour le didactisme, mais que le jeu des acteurs (tous parfaits) et le goût du suspense pressurisé font passer comme une lettre à la poste. Et lorsque les masques se mettent à tomber, reliant par la même occasion une trahison sournoise et une manipulation sacrificielle, le film laisse bouche bée par sa virulence et sa clairvoyance sur une colère impossible à freiner, nous laissant alors au final avec plus d’interrogations que de certitudes.
Sur la mise en scène en elle-même, on pourrait presque croire que Kathryn Bigelow a réalisé le film en sous-marin, tant "Sabotage" n'est que stress à l'état pur sur toute sa durée. Dès son ouverture en montage parallèle, la bande-son hallucinante a de quoi laisser le spectateur cramponné à son siège. La suite ne cessera jamais de monter en crescendo pour ne jamais redescendre, jouant à loisir des signes extérieurs (un drone, une voiture, un bruit…) et des angoisses intérieures (un geste mal mesuré et c’est le boum assuré !). Graduelle et chaotique, la tension alimentée par le film est un piège sensoriel qui ne nous fait jamais décrocher de l’écran, qui s’alimente non-stop de cette rage qui n’en finit jamais de ne jamais finir, et qui, à lui seul, acte la réussite prodigieusement subversive de l’ensemble. Si le monde est marqué par une profonde méfiance vis-à-vis de ses dogmes sociétaux, il est quelque part assez logique que le 7ème Art fasse de même avec cet idéalisme et cette bienséance que d’aucuns ne cessent d’ériger en manifestes d’une œuvre d’art. Toute société a les films qu’elle mérite, comme disait l’autre…
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur