RRR
Un alléchant divertissement gâché par son sous-texte nationaliste
Dans les années 1920, alors que l’Inde est une colonie, l’administrateur britannique et son épouse enlèvent une jeune fille dans un village du peuple Gond. Le gardien de la tribu, Komaram Bheem, se rend à Delhi pour élaborer un plan afin de la récupérer. Alertées du danger que représentent la colère et l’opiniâtreté de cet homme, les autorités tentent de l’identifier et de l’arrêter, faisant notamment appel à un officier indien de la police impériale, Rama Raju, lequel est prêt à tout pour que ses compétences soient reconnues et récompensées…
C’est LE film indien qui a fait le plus parler de lui dans le monde en 2022, avec un Golden Globe et un Oscar de la meilleure chanson à la clé. Mais devrait-on être indulgent sous prétexte que le cinéma indien reste peu promu en Occident ? Oui et non.
On peut excuser la surcharge de pathos dégoulinant – après tout, les Indiens aiment en faire des tonnes dans leurs films à grand spectacle, donc en vouloir à ce long métrage pour cela reviendrait presque à rejeter en bloc tout ce qui vient de ce pays. On procédera de même pour la tendance clipesque de certaines séquences, qui va de pair avec les passages kitschs de comédie musicale. On pardonnera aussi volontiers les effets spéciaux numériques parfois trop voyants mais globalement de bonne facture. On aura déjà plus de mal à défendre l’étrange modification de l’apparence d’un des héros : alors que la moustache dont il était affublé le rendait immédiatement identifiable, voilà qu’il change brutalement de style, au point de générer une vraie confusion pour le public qui peut avoir, pendant un temps, l’impression qu’on lui présente un nouveau protagoniste ! Mais là n’est pas la gêne principale que l’on ressent en regardant "RRR".
En effet, il est bien plus problématique de digérer le sous-texte nationaliste, aguicheur et tapageur, sans aucune subtilité. Évidemment, comme le récit se déroule dans les années 1920, il ne nous viendrait pas à l’esprit de clamer que le colonialisme était une bonne chose ni que les Britanniques étaient des saints ! Mais faire en sorte que ces derniers soient systématiquement dépeints dans le film comme des êtres cruels, vicieux et cyniques, voilà qui est foncièrement outrancier. Et ce n’est pas le personnage de Jenny – seule exception incarnant la bonté dans le « camp » britannique – qui suffit à nuancer ce choix grossier. Par un aveuglement nationaliste, la naïveté s’inverse quand il s’agit des personnages indiens : leurs travers ou leurs exactions sont systématiquement pardonnées ou ignorées à cause de leur supposée bonté intrinsèque, ou leur sens de la justice et de l’honneur – cela ne semble même pas un problème que l’un d’entre eux tue d’autres Indiens participant à une révolte contre l’administration britannique !
Cet héroïsme disproportionné s’inspire très librement de deux véritables révolutionnaires des années 20, ici transformés en super-héros invincibles. "RRR" est ouvertement un rugissement permanent qui glorifie l’Inde jusqu’au grotesque, au point de conclure l’histoire par une sorte de clip de propagande à la gloire de héros nationaux qui sont mis en scène (et en musique) dans un style qui rappelle esthétiquement le réalisme socialiste soviétique. Il en faudrait moins pour qu’un film occidental soit raillé voire anéanti par la critique, donc il n’y a aucune raison de se montrer débonnaire vis-à-vis d’un film indien. On aurait pu comprendre une telle posture si ce long métrage datait des années 1950 – il aurait fait figure de revanche cathartique post-indépendance – mais cela relève de l’indécence dans un contexte actuel de montée en flèche du national-populisme, tant en Inde (où le raciste Narendra Modi est premier ministre depuis 2014) qu’à l’international (Poutine, Trump, Le Pen, Bolsonaro, Farage, Erdogan, Orbán, Meloni et tant d’autres…).
Malgré cet épouvantable sous-texte, il n’est pas interdit de se délecter des scènes d’action qui assument une excentricité qui n’a rien à envier aux divertissements hollywoodiens de type "Fast and Furious". Ainsi, on notera par exemple la scène où Raju parvient à capturer un homme dans une foule hostile qu’il combat seul ; celle où Raju et Bheem improvisent une coopération pour sauver un enfant pris au piège par des flammes depuis un pont ; les différentes attaques dont la tentative de libération de l’enfant avec l’aide d’animaux sauvages ; la battle de danse entre les deux héros et de jeunes Britanniques arrogants… Bref, on passe trois heures à alterner entre fascination et aversion !
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur