ROQUETTE ET LES MAL AIMÉS
Hétéroclite et pas toujours pertinent pour le public visé
Un corbeau croasse dans la ville ; un petit garçon rencontre un ourson ; un plongeur apprend à cohabiter avec un requin ; une renarde et une blairelle affrontent des chasseurs et leurs chiens…
En 2020, Hélène Ducrocq proposait "Les Mal-Aimés", programme de quatre courts métrages d’animation mettant en scène des espèces animales qui suscitent parfois le rejet : loup, araignée, chauve-souris et ver de terre. Quatre ans plus tard, elle revient avec quatre nouvelles propositions, avec des résultats très inégaux.
Le court métrage inaugural, "Les Bruits" (6 minutes), met en avant le corbeau et son croassement, dans un enchaînement visuel mêlant peintures animées et pixilation (technique qui consiste ici à utiliser des silhouettes de mains). Si l’esthétique, qui magnifie le noir sur des fonds colorés, est enthousiasmante, la création sonore fera moins l’unanimité : la ritournelle enfantine est certes entraînante, mais elle peut s’avérer agaçante à force de répétition. Mais disons que cela ennuiera surtout les adultes et que c’est pour la bonne cause : la cible privilégiée a en effet 3 à 5 ans.
Mais le court suivant, "Qui a vu l’ours ?" (9 minutes), risque de poser le problème inverse : si les parents auront de quoi se sustenter avec ce joli récit évoquant respect de la nature et addiction aux écrans, les petits décrocheront plus facilement à cause de thématiques et de répliques moins adaptées à leurs capacités ou préoccupations ! La mise en scène est tendre et inspirée, mais elle n’est pas des plus aisées pour les bouts de chou. Dommage, car c’est objectivement un très beau film, qui fait la part belle à l’artisanat avec prises de vue réelles et marionnettes en papier, laissant volontairement certains artifices apparents (mains, bâtons sur lesquels sont fixés les personnages).
Le troisième film du programme, "Attaques" (7 minutes), est sans doute le plus admirable, esthétiquement parlant. Avec son animation 2D numérique, ce court métrage aux couleurs très vives – et joliment mis en musique – conte l’évolution du regard d’un personnage humain à propos des requins. Pour diverses raisons, le scénario ne sera pas forcément compris par les plus petits : pas de dialogue ni de narration, et des aspects oniriques ou symboliques qui pourront leur paraître abscons, avec notamment un choix de cadre passant du carré au cercle et un renversement bas/haut pour jouer avec la frontière que représente la surface de l’eau… C’est très intelligemment fait, mais le sens échappera sans doute à beaucoup d’enfants, bien qu’ils puissent rester émerveillés par la beauté des images.
Malheureusement, le programme se termine par ce qu’on pourrait qualifier de catastrophe. "Roquette et Lucie" (10 minutes) met en scène une « renarde punk » et une « blairelle jazzy » qui défient notamment des chasseurs dans une comédie musicale à base de marionnettes façon Muppets. Cela aurait pu être drôle, mais c’est terriblement laid, notamment les marionnettes elles-mêmes : même si l’idée est de parler d’être « mal-aimés », était-il nécessaire de les représenter avec une apparence aussi repoussante ? Et ce n’est peut-être pas le pire aspect qui réside plutôt dans les insupportables chansons, non pas pour la musique mais à cause de la voix aigüe désagréable et inaudible de la renarde : même les adultes auront besoin des sous-titres pour comprendre les paroles donc, fort logiquement, les plus petits pourront encore moins en comprendre le sens ! Un comble pour un programme adapté aux plus jeunes – foi de petite fille de 4 ans ayant vu le programme avec l’auteur de cette critique : elle avait envie de partir avant la fin !
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur