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LA RIVIÈRE SANS FIN

Un film de Oliver Hermanus

Un drame étrange et imprévisible

Riviersonderend (Endless river), en Afrique du sud. Tiny accueille son mari Percy à sa sortie de prison, espérant reprendre le cours de leur vie. Or très vite, il la délaisse au profit de soirées arrosées avec les membres de son gang. Serveuse dans un restaurant, elle fait la connaissance de Gilles, un Français fraîchement installé avec sa famille dans une ferme reculée. Le soir-même, celle-ci est frappée par un terrible drame…

Présenté à la Mostra de Venise en 2015, le nouveau long métrage d’Olivier Hermanus (« Beauty ») y a été tièdement accueilli, laissant à de nombreux festivaliers la désagréable impression d’avoir été baladés pendant une heure et demi. Et pour cause, après une première moitié captivante, mettant successivement en scène une tragédie intime, un début d’enquête policière et la naissance d’une romance, le tout sur fond de société sud-africaine décadente, « Endless river » se transforme subitement en road-movie amoureux, métaphore d’une fuite en avant qui dépasse quelque peu les enjeux de départ. La rupture scénaristique a de quoi déstabiliser, d’autant qu’Hermanus n’hésite pas à casser les codes qu’il a pris le temps d’installer, empreints d’un classicisme un peu froid, pour faire évoluer ses personnages vers quelque chose de plus organique et irrationnel. Pourtant, c’est bien là que réside l’intérêt du film : emmener le spectateur là où il ne s’y attend pas, quitte à le perdre en route.

Pour marquer le changement de ton, mais aussi semer le doute dans l’esprit des spectateurs, Hermanus injecte des ellipses et images subliminales à répétition. Ce qui était relativement binaire devient ambiguë, créant un climat d’étrangeté propre à l’incompréhension, mais aussi à la fascination. Le personnage de Gilles, par ailleurs, cristallise à merveille ce passage du clair vers l’obscur (ou l’inverse, selon interprétation), lui que l’on s’attend à voir transformé en justicier vengeur, et qui décide finalement d’emprunter une autre voie, passant du statut de victime brisée à celui de fugitif aux lourds secrets. Il faut reconnaître que le choix de Nicolas Duvauchelle pour ce rôle, s’il pose question dans les premières minutes du film, s’avère tout à fait judicieux, tant l’acteur incarne déjà naturellement un mélange borderline entre douceur et brutalité.

Un bémol tout de même : les détours pris finissent par assécher le film. Sa charge émotionnelle, assénée de façon cinglante dans les premiers temps (une scène de crime glaçante car suggérée, l’extrême détresse de Gilles, la solitude de Tiny), se réduit comme une peau de chagrin, écartant le spectateur de toute forme d’empathie. Par ailleurs, la dissolution de l’intrigue dans une approche plus comportementaliste des personnages crée une perte de substance qui laisse sur sa faim. Un arrière-goût d’inachevé allègrement renforcé par une scène finale désarmante. Plus que méandreux, c’est bien le terme d’insaisissable qui définit le mieux ce drôle d’objet cinématographique.

Sylvia GrandgirardEnvoyer un message au rédacteur

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