RIPOSTE FÉMINISTE
Une sororité joyeuse pour que l’espace soit réellement public
Dans un nombre croissant de villes françaises, des collages féministes fleurissent sur les murs, dénonçant les féminicides, les viols et diverses formes d’inégalités et d’injustices. Déterminées dans leurs combats, leurs autrices s’organisent et ne baissent ni les bras ni les yeux…
C’est l’histoire de dizaines de femmes, jeunes pour la plupart, qui ont décidé que l’espace public ne devait plus être la chasse gardée des hommes. C’est l’histoire d’un rééquilibrage indispensable, d’un marquage de territoire au profit de la justice, d’un coup de gueule collectif sur papier collé. C’est aussi une version contemporaine du tonneau des Danaïdes car les messages qu’elles affichent dans les rues disparaissent souvent très vite, déchirés et arrachés par des gens qui ne les comprennent ou ne les acceptent pas. C’est donc aussi l’histoire d’une lutte ininterrompue contre l’invisibilisation des femmes et des minorités.
Bravant les critiques et bousculant les normes, ces féministes collent inlassablement pour défendre leurs causes. Il s’agit pour elles d’imposer au regard d’autrui des sujets qui dérangent, pour faire face aux (trop nombreux) dénis de justice. La simplicité de la forme (des feuilles blanches et de grandes lettres noires, parfois rouges) ne fait qu’accentuer le fond percutant des textes apposés sur les murs de nos villes. Les sujets abordés dans les slogans sont majoritairement féministes (féminicides, viols, harcèlement…) mais cela va aussi au-delà, avec notamment des messages en faveur des minorités de genre ou de l’antiracisme.
En suivant ces colleuses à travers la France, Marie Perennès et Simon Depardon (ce dernier étant le fils de l’illustre Raymond Depardon) rendent hommage à ces militantes du XXIe siècle en restant majoritairement très proches d’elles pour les filmer. Ainsi, le public se sent constamment à leurs côtés et perçoit le mélange de combattivité, de fierté et de solidarité qui les caractérisent. Les temps de collage, de préparation et de discussion se succèdent avec une grande fluidité et le montage a la bonne idée de passer d’une ville à l’autre sans mélanger les lieux, proposant alors un tour de France qui fait prendre conscience de la diffusion de ces collages. D’ailleurs il n’est pas seulement question de grandes métropoles comme Lyon (où commence le film), Marseille ou Paris : Perennès et Depardon ont judicieusement opté pour la diversité, tournant donc aussi dans des villes de taille plus modeste comme Montbrison et Gignac. On peut toutefois regretter que, à force de filmer les colleuses, le binôme en oublie presque de montrer les collages, finalement assez peu visibles (et lisibles) au fil de ce documentaire.
Doux et dynamique à la fois (et souvent drôle également), "Riposte féministe" parvient à alterner des moments étonnamment sereins et d’autres remplies de ferveur et d’intensité, comme dans les scènes de manifestations (car il n’est pas question seulement de collages). Lors de celle du 8 mars, une scène marque les esprits par le choc idéologique qu’elle présente : le cortège féministe croise un groupe de bigots qui clament passages de la bible et messages anti-avortement ; alors que ces derniers sont à genoux, pliant symboliquement sous le poids de principes d’un autre âge, les militantes sont portées par une vitalité qui les poussent vers le haut et vers l’avant. Autre scène marquante : celle où une voiture de policier passe à proximité de colleuses, s’arrêtant un instant mais continuant sans leur faire de quelconque remontrance.
Quant aux réguliers moments de débat entre les colleuses, ils sont l’occasion d’interroger nos repères, mais aussi de donner un visage polymorphe à ce féminisme moderne car toutes n’ont pas toujours le même avis. En vrac, sont évoquées la nécessité de déconstruire les habitudes, la gestion de la peur face aux risques d’agressions, la notion d’espace public (qui est plutôt un espace masculin), la pertinence (ou pas) de la non-violence absolue…
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur