RIEN À PERDRE
Un drame ambigu et saisissant
Sylvie s’occupe seule de ses deux enfants. Un soir, alors qu’elle a laissé seul le plus jeune à la maison, celui-ci se blesse. Les services sociaux décident de s’en mêler et de placer Sofiane en foyer. Sylvie va alors tout faire pour prouver qu’il s’agit d’une terrible erreur…
Des frites. Une simple histoire de pommes de terre. Et c’est tout un monde qui s’écroule. Un soir, le jeune Sofiane, seul à la maison, décide de se faire à manger. Maladroit, il se brûle. Une blessure anodine, pas trop sérieuse, qui pourrait arriver à n’importe qui. Une situation banale. Pourtant, les services sociaux vont être appelés. Pourquoi cet enfant était-il seul ? Comment vit-il ? Pour quelles raisons se retrouve-t-il à faire son propre dîner ? Si on n’avait pas déjà vu l’amour de Sylvie pour son enfant et son grand frère, on pourrait imaginer le pire. Les représentants de l’État vont vite se rendre compte qu’il s’agit d’un foyer d’amour, et que leurs investigations devraient se porter sur d’autres chaumières. Oui, mais ce n’est pas si simple…
Drame subtil et déchirant, "Rien à perdre" fait partie de ces œuvres face auxquelles il est bien difficile de rester insensible ; non pas parce qu’elles vous prennent en otages, mais parce que le film est une démonstration implacable de la faillite d’une machine administrative, indépendamment du jugement qu’on pourra porter sur les parties. Et c’est bien là que réside la force du métrage, dans son brillant équilibre qui navigue dans les zones grises plutôt que dans le manichéisme. Évidemment qu’on a envie de claquer cette assistance sociale aux répliques toutes faites et aux aphorismes de comptoir. Sauf qu’il est bien plus complexe de questionner sa sincérité, sa véritable volonté de protéger les droits de l’enfant, même si cela doit se faire au détriment de ceux des parents.
Alors on se dit qu’on va quand même continuer à défendre bec et ongles cette mère courage qu’on adore dès les premières secondes, car ce qui lui arrive est profondément injuste et qu’on veut voir l’État payer pour ce qu’il fait à cette pauvre famille. « Le plus grand mal, à part l'injustice, serait que l'auteur de l'injustice ne paie pas la peine de sa faute » nous apprenait Platon. L’appréciation n’est pourtant pas aussi simple, nos certitudes s’étiolent au fur et à mesure des séquences, les spectateurs devenus témoins d’une spirale dans laquelle la protagoniste semble se noyer. Dans ce rôle principal, Virginie Efira fait une nouvelle fois étalage de tout son talent et confirme sa propension à se glisser dans la peau de n’importe quelle femme avec brio.
Lorsqu’on s’attaque au drame social, il est souvent difficile d’éviter la comparaison avec les figures tutélaires du genre, Ken Loach et les frères Dardenne en tête pour des productions européennes. Delphine Deloget y arrive parfaitement dès sa première réalisation de fiction, probablement en raison de son passé de documentariste qui l’aide à montrer une réalité multiple sans jamais recourir à des artifices superficiels, sûrement par son refus d’imiter ses pairs, osant une galerie de seconds personnages hauts en couleur et une tonalité qui lui est propre. En résulte un film poignant, qui relègue en hors champ les débats sur le système à bout de souffle de l’Aide Sociale à l’Enfance pour se focaliser sur un drame intime. "Rien à perdre" a enthousiasmé à juste titre la croisette durant le Festival de Cannes (pour preuve, la très longue standing ovation de sa présentation officielle à Un Certain Regard). Delphine Deloget, bienvenue dans le paysage cinématographique hexagonal !
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteurÀ LIRE ÉGALEMENT
COMMENTAIRES
Dudu
mercredi 6 mars - 4h02
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CLOCLO
mercredi 6 mars - 3h56
Décevant triste bruyant