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RENDEZ-VOUS L'ETE PROCHAIN

Rendez-vous au prochain film, Philip… ou pas !

Personnage aussi attachant que socialement inadapté, Jack conduit des limousines avec son ami Clyde et passe l’essentiel de son temps à écouter le morceau des Melodians, « Rivers of Babylon » dans ses écouteurs. Clyde et sa femme Lucy décident de lui présenter une amie commune, maladroite et fragile, Connie. Jack fait alors d’incommensurables efforts pour mériter son amour, lui promettant de lui cuisiner un bon repas et de l’emmener faire du bateau à Central Park l’été prochain. Mais voilà : Jack ne sait même pas faire cuire un œuf et s’il tombe à l’eau, il est certain de couler. Il va lui falloir apprendre patiemment…

Il est bien possible que le premier long-métrage réalisé par Philip Seymour Hoffman, que j’admire par ailleurs, ne mette en scène un type balourd et gentiment autiste que pour nous tirer une grasse et artificielle compassion, une façon comme une autre de détourner notre attention des vastes cratères du scénario. Il est possible, également, que le comédien – un génie, pourtant, quand il se contente de jouer – se soit laissé déborder par la fainéantise, parce qu’il aurait trop compté sur le scénario de Robert Glaudini, adapté de sa propre pièce de théâtre, en considérant, à tort, que le dramaturge aurait le talent nécessaire pour une conversion correcte des planches au plateau. Ce ne sont néanmoins que des hypothèses.

La certitude, c’est que « Rendez-vous l’été prochain » risque de décevoir tous ceux qui ne sont ni des amateurs de gros balourds maladroits et gentiment autistes, ni des bobos new yorkais qui chercheraient dans cette pâle copie des œuvres de John Cassavetes une forme de subversion poétique, ni des fans de Katherine Pancol qui trouveront dans le film une version cinoche des romans aux titres interminables de la romancière de Central Park. D’autant que le titre français du film rappelle les bluettes new yorkaises qui ont pullulé dans les années 90 au cinéma.

Cette histoire, d’une affligeante banalité et d’une infinie mélancolie, est filmée de la manière la plus banale par l’acteur - réalisateur qui affirme cette banalité comme si elle constituait une caractéristique essentielle de la personnalité de son film, de la personnalité de l’Américain moyen, voire de la personnalité d’Hoffman lui-même. Comment expliquer autrement son désir d’incarner le personnage de Jack, sinon pour imposer sa banale banalité de barbant benêt ? Sa mise en scène, qui se voudrait coulante comme les eaux d’une rivière, est aussi plate que le lac de Central Park où les deux personnages finissent effectivement par naviguer, ainsi qu’ils l’avaient prévu, après quatre-vingt-dix interminables minutes de déchéance humaine.

Déchéance, oui : car Hoffman filme les turpitudes ultimes de la fin de l’humanité. Il n’y a pas d’autres explications possibles, tant les protagonistes nous font perdre foi en l’Homme – au sens universel. Jugez plutôt : Connie relate avec force détails la mort atroce, chaotique et discontinue de son père ; Jack rate son gratin et ses escalopes à cause d’une chicha au cannabis et devient complètement dément, puis s’enferme dans la salle de bain, jusqu’à ce que ses amis entonnent les paroles de « Rivers of Babylon » ; Clyde invite en secret l’ancien amant de sa femme ; et Lucy finit par cracher métaphoriquement à la figure de son mari, signifiant la fin de leur histoire (et bientôt celle du film, ouf !). Vous ne vous trompez pas : on dirait un Woody Allen qui aurait délaissé talent, humour, art du dialogue et sens de la mise en scène, et qui aurait troqué sa caméra pour un polaroid familial.

Puisque Hoffman multiplie les images qui se veulent poétiques, il serait néanmoins aisé de voir en son « Rendez-vous » une imagerie d’Epinal de l’amour, le vrai, celui qui est vécu pleinement par des hommes et des femmes sans arrière-pensées – et pour cause, puisqu’ils ne pensent pas du tout. Il faut se méfier de cette tentation de transformer un mauvais film en chef d’œuvre, sous prétexte que les personnages se donnent un improbable rendez-vous six mois plus tard, et que les gros plans sur le visage boursouflé d’Hoffman remplacent des pans entiers de la narration. La modernité, qu’ils disaient ?

Le film essaie malgré tout de diffuser une idée, une belle idée : la circulation constante des émotions et des connaissances, ce qui revient au même. Les illustrations visuelles de cette idée fournissent au long-métrage ses meilleurs moments : Jack est une page blanche qui ne demande qu’à se remplir de la connaissance d’autrui – la nage avec son ami, la cuisine avec l’amant de Lucy – et du partage émotionnel avec Connie. En gros, Jack apprend à nager plutôt qu’à surnager dans l’eau ; de balourds, ses gestes deviennent légers, acquièrent une sorte d’apesanteur, débarrassés de la lourdeur du quotidien, lorsqu’il répète les mouvements appris en cuisine et à la piscine, mais dans le vide, afin de les connaître par cœur. Toutefois, un crawl esquissé sur un pont autoroutier, face à un grillage hautement signifiant, ne métamorphose pas le pissenlit en bouquet de roses. Il manque, pour cela, l’essentiel : une beauté qui ne soit pas artificielle, une beauté naturelle qui semble perpétuellement échapper à la caméra d’Hoffman.

Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur

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