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RAMONA FAIT SON CINÉMA

Un film de Andrea Bagney

La vie, c’est du cinéma, et vice-versa

Ramona, 31 ans, vit à Madrid avec Nico. Multipliant les petits boulots depuis des années, elle prépare une audition pour jouer dans un film. La veille, une rencontre pourrait bien tout bouleverser…

Ramona fait son cinéma film movie

Réalisatrice, scénariste et productrice de son premier long métrage, Andrea Bagney affirme dès les premières minutes une volonté de s’inscrire dans un héritage multiple qui la conduit à faire un film au style hybride alliant cinéma espagnol et inspirations internationales avec une façon très contemporaine de refuser la modernité !

Ainsi, dans ce Madrid post-COVID étonnamment calme (qui change des ambiances foisonnantes typiquement hispaniques), filmé en noir et blanc et en 16mm, on a presque l’impression d’être dans le New York d’un Woody Allen ou d’un Jim Jarmusch – la scène inaugurale de rencontre dans un bar a quelque chose d’un "Coffee and Cigarettes" – et certains effets de mise en scène ou de montage peuvent rappeler la Nouvelle Vague (les ruptures brusques, les regards caméra…). La touche espagnole est à chercher par exemple dans les plans en couleur, dont l’esthétique pop et acidulée a quelques airs almodóvariens –mais le mélange de noir et blanc et de couleurs, dans un contexte de tournage de film fictif, peut également évoquer le "Ça tourne à Manhattan" de Tom Dicillo.

Plein de malice, mêlant humour et tendresse, "Ramona fait son cinéma" est à la fois une comédie romantique, une déclaration d’amour pour le 7e Art et une sorte de récit initiatique pour trentenaire. Sur ce dernier point, le film aborde en effet une période charnière de la vie, qui plus est pour une femme pour qui le désir d’enfant peut commencer à être ressenti comme une urgence à cet âge-là. L’éventualité de devenir mère n’est qu’un thème a priori marginal du film (il y est fait allusion dans certaines répliques, notamment par les deux amies enceintes rencontrées lors d’une soirée) mais cela fait partie des chemins incertains que Ramona pourrait emprunter, à un moment de sa vie où divers choix lui sont offerts : une rencontre qui remet en question son couple, une proposition professionnelle alléchante qu’elle hésite pourtant à accepter, une reprise d’études qu’elle pourrait envisager, un besoin irrépressible de déménager, une envie de fumer malgré la culpabilité...

D’une certaine façon, l’histoire de Ramona reflète les choix artistiques – voire politiques – d’Andrea Bagney : une volonté de faire du neuf avec du vieux, de s’ancrer dans la contemporanéité tout en préservant le passé (le décor du bar, le choix de la musique classique…). À travers ses deux alter ego dans le film (Ramona l’actrice et Bruno le réalisateur), Bagney assume les contradictions qui caractérisent chaque être humain : ici un refus des compromis ou des injonctions (voir par exemple le dialogue sur l’écologie ou la géniale scène de casting) mais la recherche d’un certain confort (Ramona a peur des marginaux qui fréquentent son immeuble, elle reste avec son petit ami parce qu’il la rassure, etc.), une critique des hypocrisies du monde moderne et un risque de conservatisme (la critique du bio, des médecines alternatives ou du recyclage…) mais aussi une liberté et un égalitarisme pleinement dans l’air du temps (Nico comme parfait « homme de maison », Ramona comme incarnation de l’émancipation féminine…), ou encore une certaine spontanéité mais une tendance à refouler certains désirs (notons que ceux de Bruno pour Ramona sont magnifiquement symbolisés par les plans en couleur).

L’héroïne est incarnée par Lourdes Hernández qui, comme son personnage, trouve ici son premier rôle sur grand écran – outre une courte apparition dans un long datant de 2013. C’est en tant que chanteuse et sous le nom de scène de Russian Red que le public peut toutefois déjà la connaître – pour l’anecdote, c’est aussi elle qui avait doublé la voix chantée de Merida dans la version espagnole de "Rebelle" des studios Pixar. Comme Ramona (alias « Ona »), Lourdes Hernández est donc une touche-à-tout aux visages multiples, qui convient parfaitement au rôle et joue à merveille sa partition, avec un grand sens de l’expressivité. Si Bruno Lastra et Francesco Carril, qui incarnent les deux autres personnages importants, ne déméritent pas, l’actrice porte en grande partie la réussite de ce film. On espère entendre à nouveau parler d’elle et d’Andrea Bagney à l’avenir.

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

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