RABIA
Une saisissante plongée dans les rouages de l’embrigadement djihadiste
Jessica et Laila sont toutes deux infirmières et amies. Elles embarquent pour un voyage vers la Syrie, où elles doivent toutes deux épouser le même homme, combattant djihadiste de Daesch, symbole d’un possible changement du monde. A leur arrivée à Raqqa, elles font la connaissance de Madame, qui s’occupe d’analyser les motivations des filles, de les former et de les mettre en contact avec leur futur époux. Mais après avoir appris que l’homme avec lequel elles avaient eu des contacts est mort en martyr, elles se retrouvent séparées…
Triplement récompensé au Festival de Sarlat, du Prix du public, du Prix du Jury jeunes et du Prix de la meilleure interprétation féminine pour Megan Northam, l’impressionnant "Rabia" doit son titre au surnom que va se voir attribué la jeune Jessica qu’elle incarne, alors qu’elle tente d’expliquer ses motivations à rejoindre le djihad, pour combattre ou pour soigner, et refuse d’être renvoyée en France : la « rage ». En quelques échanges avec une Lubna Azabal saisissante de froideur et d’autorité dans la posture (elle incarne Madame), elle exprime sans doute ce que beaucoup de jeunes femmes ont espéré trouver là-bas auprès de combattants idéalisés, que le scenario s’applique discrètement à rendre veules et vulgaires : un respect ou une considération qu’elles n’ont plus, une entraide disparue, une échappée d’un système qui vous asservit, vous condamnant juste à servir et à survivre. Et c’est bien entendu exactement la même chose qu’elles vont trouver là-bas, en pire, passant du capitalisme et de individualisme plus ou moins sauvage, à un groupe fanatique des plus dangereux, y compris pour les physique comme le mental de l’individu.
C’est donc la mécanique d’endoctrinement de l’auto désigné État Islamique qui intéresse la réalisatrice Mareike Engelhardt (dont c'est le premier long après avoir été 2ème assistante réalisateur sur "La Ritournelle" ou sur "Suzanne"), à la fois dans la figure de mère de substitution que représente Madame, la parabole des lieux en tant que « maison close » où l’on prostitue les femmes en les mariant. Son scénario colle alors au personnage de Jessica, dont l’horizon se rétrécit alors qu’elle monte les échelons de cette organisation, l’occasion de décortiquer en même temps une idéologie qui tue les dernières traces d’innocence, et la manière dont les tortures multiples (fouet, privations, contact furtif avec les proches...) finissent par façonner un nouveau monstre. Aux aboies, en quête de reconnaissance comme d'une meilleure position, le personnage reproduit finalement tout ce qu’elle honnissait dans son monde d’avant, jusqu’au summum de l’ignominie. Mareike Engelhardt utilise à merveille son décor implanté en réalité dans une ancienne usine et l’évolution des couleurs vers une privation de lumière qui symbolise de l’enfermement du personnage dans son schéma de fonctionnement mortifère. Avec également Natacha Krief, épatante dans les quelques scènes réservées au rôle de Laila, "Rabia" part de la froideur vers l’émotion, pour mieux nous rappeler le destin ou la situation de nombreuses femmes (près de 42 000) et des enfants qui sont nés la bas (environ 25 000).
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur