QU'UN SANG IMPUR…
Le Vietnam de Abdel Raouf Dafri
1960, Algérie. La guerre s’enlise comme en Indochine, avec escalade de la violence de toutes les parties. En France, Andreas Breitner, un ancien colonel traumatisé par la guerre en Indochine, est approché par Madame Delignières pour qu’elle lui ramène un souvenir de son fils tombé en Algérie. Contraint d’y partir, il forme une équipe pour accomplir sa mission en terre « française » hostile…
Abdel Raouf Dafri, scénariste d’ "Un Prophète", "Mesrine" et "Braquo", passe avec "Qu’un sang impur..." à la réalisation. Pour son premier long métrage, il choisit un sujet assez peu abordé dans le cinéma Français : la guerre d’Algérie. Le réalisateur explique, dans les médias et dans le dossier de presse, sa volonté : proposer un traitement de ce conflit complexe sans réduire les deux camps à des entités manichéennes. Il veut maintenir une complexité, car la sauvagerie aussi bien que l’éthique étaient des deux côtés. Il explique également que l’approche documentaire ne l’a pas intéressée. Son objectif est de faire un film de fiction, un film de cinéma, de grand spectacle. Il a voulu utiliser tous les artifices de la mise en scène pour raconter cette histoire. Il est donc inutile de l’attaquer sur une volontaire esthétisation de la violence ou du crime. Si cette démarche peut être jugée immorale par certains, elle est pleinement assumée par le réalisateur. Enfin, pour résumer, Abdel Raouf Dafri a voulu traiter de cette guerre comme Coppolla, Cimino et Stone ont traité le Vietnam. Dès lors, si "Apocalypse Now", "Voyage au bout de l’Enfer" et "Platoon" ne sont pas votre tasse de thé, il vaut sans doute mieux passer votre chemin.
Dès lors, que peut-on retrouver dans le film qui témoigne de cette volonté ? Dès l’ouverture, les soldats français et les combattants algériens sont à la même enseigne : la violence, la mort, le sang pour l’honneur et pour la patrie. La scène est quasi muette, et extrêmement intense, les plans de coupe sont violents et longs. Le travail de la lumière est très spécifique : le clair-obscur, les gros plans, la caméra à l’épaule. La forme et le fond cohabitent. Le spectacle et l’esthétique ne réduisent pourtant pas la profondeur des personnages.
S’il y a certes de vrais moment de jouissance dans la peinture d’une violence très graphique, dardant même vers le jeux-vidéos avec des plans au viseur, cette jouissance est contre balancée par des enjeux et des problématiques morales, identitaires et humaines. C’est cette alternance qui donne à la fois son rythme et son relief au film. Il ne s’agit pas de raconter la grande Histoire, mais de proposer des personnages types dont les enjeux internes et externes l’illustrent. Et c’est parfois là que le bât blesse car la caractérisation des personnages, et les performances d’acteurs, ne sont pas forcément à la hauteur des ambitions scénaristiques. C’est essentiellement le cas pour les trois personnages antagonistes du film, Breitner, Boukarouba et Delignières. Leurs enjeux externes sont très clairs, mais leurs dilemmes internes restent de surface et l’empathie fonctionne difficilement. Mais cela est encore plus gênant dans leur relation aux autres personnages, car ils ont tous les trois des chefs de groupes.
Les personnages secondaires souffrent du même mal. Le film a l’intelligence de maintenir, dans chacun cette idée de dilemme, mais elle semble parfois factice. Il s’agit sans doute d’un manque de temps et de budget car malgré les 1h49 du film, une telle caractérisation de personnages, pour fonctionner, a potentiellement besoin des 3h03 d’un film comme "Voyage au bout de l’enfer". Pourtant, bien que ces personnages et leurs enjeux soient assez succincts, ils ont le mérite de proposer un véritable questionnement sur l’identité française et algérienne et ce qui fait l’appartenance à un état. L’arc narratif de chacun va être de chercher, et de se souvenir peut-être, des raisons de son engagement quand la folie de l’adrénaline, de la loi du talion et de la survie, retombe.
Pour finir, un acteur, Olivier Gourmet, permet de faire le passage vers un autre film, aux ambitions similaires. En effet, bien que le sujet et l’esthétique soient très différents, "Qu’un sang impur..." et "Ceux qui travaillent" d’Antoine Russbach, cherchent à proposer à leurs spectateurs le même type d’expérience, celle d’un véritable questionnement. Les deux films, très engagés, ne sont pourtant pas militants. Ils évitent l’écueil du partisan et du dogmatique. Mais là où le film de Russbach, fait le choix, par sa mise en scène, de ne jamais être en avance sur les personnages et de maintenir ainsi le spectateur dans une vision active et un questionnement constant, ne lui laissant pas la possibilité de s’échapper ou de rester indifférent, celui de Raouf Dafri, en faisant le choix du spectacle, prend le risque de ne pas atteindre cet objectif.
Comme les deux films ont le même objectif, celui de présenter des personnages pour lesquels le spectateur a de l’empathie et non de la sympathie, leur comparaison est potentiellement très riche. Et la mise en parallèle des performances d’Olivier Gourmet et de leur effet sur le spectateur, est sans doute à creuser !
Thomas ChapelleEnvoyer un message au rédacteur