QUEEN AND SLIM
Élégant, charnel, et surtout terriblement puissant !
À la suite d’un premier rendez-vous romantique, deux jeunes afro-américains se font contrôler par la police. La situation dégénère rapidement. Au point de devoir abandonner leurs proches et de fuir ensemble alors qu’ils se sont rencontrés à peine quelques heures plus tôt…
Un vieux dinner du Sud des États-Unis. Un homme et une femme. Ils discutent, se découvrent pour la première fois, se tournent autour. Ils sont le résultat d’un « match » sur Tinder, un vulgaire clic pour une situation dont ils ont tous les deux l’habitude. Leur soirée aurait dû être des plus classiques : un bon burger, des rires, de la séduction, et avec un peu de chance un baiser voire plus. Malgré une alchimie chancelante, ils décident de s’embarquer dans une balade nocturne, pour prolonger une nuit aux promesses infinies. Sur leur chemin, ils se font interpeller par une voiture de police, simple contrôle d’usage. Sauf que le jeune couple est afro-américain, et l’officier, blanc. En quelques secondes, la scène dérape, les coups de feu partent, l’agent s’effondre. Nous voilà face au début d’une fable moderne, un récit vibrant de l’épopée de deux êtres que rien ne prédestinait à un tel parcours, reflet d’une époque où les tensions raciales sont omniprésentes.
Plus que le geste dramatique, la réalisatrice va s’intéresser aux conséquences, à la manière dont la société pourrait appréhender un tel fait divers, manière par laquelle elle va s’interroger sur la figure du héros américain. Symbole de la lutte contre les violences policières, les protagonistes sont érigés en emblèmes, vénérés et aidés par toute une communauté lasse et épuisée de ces bavures à répétition. Tragédie romantique et poétique, "Queen & Slim" est une œuvre engagée, au parti-pris assumé, à l’image des récents "Sorry to Bother You" ou "The Hate U Give – La Haine qu'on donne". Sur un scénario écrit par Lena Waithe (l’actrice de "Master of None" et créatrice de l’excellente série "The Chi"), Melina Matsoukas insuffle une vitalité onirique à ce road-trip bouleversant, capturé dans une esthétique pop et clipesque - la cinéaste est notamment connue pour son travail sur des clips de Beyonce, Rihanna ou encore Lady Gaga - qui invite parfois au bon souvenir de la blaxploitation.
Frénétique et virevoltant, le métrage doit aussi beaucoup à son duo de comédiens, Daniel Kaluuya confirmant tout le bien que l’on pense de lui depuis "Get Out", et Jodie Turner-Smith, révélation incandescente pour qui les portes du Cinéma devraient s’ouvrir en grand. Hasard du calendrier, "Queen & Slim" est sorti une quinzaine de jours après "La Voie de la Justice", thriller judiciaire sur fond de racisme systémique en Alabama, et une semaine avant "Le Cas Richard Jewell" qui invite lui aussi à la réflexion sur le rôle des médias et de la société dans la construction des mythes contemporains. Ensemble, ces trois projets constituent les volets d’un triptyque pamphlétaire sur les maux d’une Amérique incapable de se soigner, où la couleur de peau est déjà preuve de culpabilité. Queen le sait bien, elle qui exerce le métier d’avocate pénaliste. Et à voir son regard au moment de l’évènement matriciel du film, les choses ne sont pas prêtes de changer. La seule différence est que les artistes ont désormais l’opportunité de crier ce constat alarmant au sein même de la machine hollywoodienne.
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur