LA PRIMA NEVE
Une poignante réflexion sur le deuil et la filiation
Le nom d’Andrea Segre ne vous dit peut-être rien. C’est normal : ce jeune professeur de sociologie, passionné d’ethnographie, est surtout connu pour ses documentaires engagés traitant des peuples du monde entier. Néanmoins, deux longs métrages lui ont permis de se faire un nom dans le monde du cinéma de fiction, dont un sorti en France l’an dernier ("La Petite Venise"). Son troisième film "La Prima neve", présenté à la Mostra de Venise 2013 dans la section Horizons, est peut-être celui qui marquera sa consécration.
Ce récit d’un homme en transit entre le pays qu’il a du fuir (le Togo) et celui où il espère vivre (la France), confirme bien l’intérêt du cinéaste pour les migrations humaines et les cultures en marge. Mais cette fois-ci, c’est surtout dans son approche de l’individualité qu’il s’avère particulièrement saisissant. D’un côté, Dani doit assumer seul une existence qu’il n’a pas choisie et faire face à son incapacité à prendre soin de sa propre fille, qui cristallise le souvenir d’un être aimé. De l’autre, Michele est un gamin solitaire et rongé par l’amertume, que l’absence de père rend difficile à apprivoiser. C’est certes sans surprise que l’on assiste à un rapprochement entre les deux personnages, et au début d’une amitié salvatrice (voir "La Petite Venise"). Or bien que prévisible, cette relation est traitée avec beaucoup de justesse et de sensibilité, embarquant le spectateur dans un conte initiatique qui ne le laissera pas indifférent.
Filmant Michele au plus près dans ses moments d’isolement, par exemple lorsqu’il se réfugie dans le garage familial pour jouer frénétiquement de l’accordéon ou qu’il s’adonne à la rêverie en pleine nature (des scènes, au demeurant, d’une foudroyante beauté), Andrea Segre dresse le portrait touchant d’une enfance livrée à elle-même, contrainte de s’inventer un monde et de mûrir un peu plus vite pour s’adapter à la cruauté de la vie. L’interprétation du jeune Matteo Marchel est d’ailleurs extraordinaire de fragilité et de dignité, rappelant par moment l’étonnante performance de Thomas Dorcet dans "Le Gamin au vélo" des frères Dardennes. Quant au Français Jean-Christophe Folly, trop rare sur nos écrans, il insuffle force et mélancolie au personnage de Dani, dont on sent les fêlures à fleur de peau.
Admirablement écrit et réalisé, "La Prima neve" élève un propos somme toute classique à un niveau atmosphérique, déclenchant une avalanche d’émotions par un simple mot, geste ou regard. À mesure que les masques tombent et que les vérités se dévoilent, le film vous happe sans vous lâcher, avant de vous asséner le coup de grâce lors d’un dénouement déchirant. Une belle surprise et, n’ayons pas peur des mots, un beau moment de cinéma.
Sylvia GrandgirardEnvoyer un message au rédacteur