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LA POSSIBILITÉ D’UNE ÎLE

Un film de Michel Houellebecq

Un ovni inégal, atypique, attachant

Fils du gourou d’une secte qui croit aux extraterrestres et qui tente de découvrir le secret du clonage, Daniel fait des mots croisés en attendant que sa vie prenne un sens, jusqu’au jour où son père le choisit comme successeur… Plusieurs siècles plus tard, au fin fond d’une grotte souterraine, Daniel25, dernier descendant par clonage de Daniel, revit le parcours de son ancêtre en lisant un manuscrit électronique…

C’est désormais prouvé : les meilleures adaptations d’œuvres littéraires sont celles qui prennent le parti (et le risque) de les trahir, mais à condition de voir dans cette « trahison » le besoin impérieux de conserver l’esprit de l’œuvre originelle et de retravailler le reste sous une forme cinématographique, quitte à faire quelques sacrifices. Et des sacrifices, le romancier Michel Houellebecq en avait fait un certain nombre pour ses débuts de réalisateur, au risque de désarçonner tout le monde. En choisissant d’adapter lui-même son roman La possibilité d’une île (les précédentes adaptations de ses livres ne l’avaient pas satisfait), l’auteur tentait en effet une extension du domaine de son talent, mais ne récolta au final que sifflets et incompréhensions de la part du public comme de la critique. Écrivain et réalisateur étant deux métiers qui ne nécessitent pas la même approche d’une thématique précise, devait-on en conclure que Houellebecq s’était fantasmé cinéaste sans en avoir les réelles capacités ? Pour le coup, on répondra par la négative.

En premier lieu, avoir lu le roman avant de voir le film est sans doute un avantage non négligeable, dans la mesure où cela permet de cibler ce qui a disparu du matériau littéraire. Pour la petite histoire, ce colossal roman de science-fiction abordait en flash-back la thématique du clonage tout en conservant la réflexion de Houellebecq sur la condition humaine, le tout sous un angle à la fois cynique et satirique envers les sectes (celle du roman était un décalque transparent des raëliens) et les relations sociales. Ayant décidé de trancher dans le tas, l’auteur effectue lui-même un travail de clonage assez radical, en conservant tout ce qu’il y avait de plus cinématographique dans le livre (à savoir la partie SF et la description de la secte) et en évacuant tout ce qui était de l’ordre du romanesque (la success story de Daniel, sa relation avec une journaliste, etc…). En raison de cet élagage psychologique, on ne saura donc jamais, par exemple, quelles sont les origines et le parcours intime du personnage de Daniel, incarné ici par un Benoît Magimel assez inexpressif.

D’emblée, le rejet de toute psychologie et de narration calibrée devient ici un avantage : on voit mal comment les réflexions très théoriques de Houellebecq auraient ici trouvé le moindre impact en étant retranscrites telles quelles (il n’en garde que quelques fragments à travers la voix off de Daniel25). L’absence d’humour cynique et de scènes sexuelles donne là encore l’impression que Houellebecq a visé l’épure absolue, comme s’il avait souhaité offrir une version 2.0 de son roman, ou du moins la revisiter sous un autre angle. L’épure en question aboutit au final à un étrange fantasme de cinéma qui tenterait de s’incarner (assez maladroitement) en œuvre d’art affirmée. Cela aurait pu être risible en l’état, mais on y perçoit très clairement une passerelle avec la destinée du personnage de Daniel25, lui-même étant la copie figée et inaboutie d’une autre entité plus investie et consistante.

Par ailleurs, dans la première moitié de son film, on notera que le regard mordant de Houellebecq sur la condition humaine prend sa place dans des scènes volontairement cheap : un gourou minable débitant un discours bidon sur l’avenir de l’homme dans un hangar peuplé de SDF paumés (on aperçoit d’ailleurs Houellebecq lui-même au cœur de l’assemblée), des complexes hôteliers monstrueux où s’enchaînent en boucle des activités ridicules (dont un concours de Miss Bikini où le jury semble s’ennuyer ferme), une vision du milieu scientifique régi par un charabia théorique qui vire au pensum abscons, sans parler du petit rôle rapide d’Arielle Dombasle en émissaire mexicaine de la secte qui disserte lourdement sur l’état et l’ennui de l’homme moderne. Grandeur et misère dans le même plan, en somme, que Houellebecq capte avec un certain humour à la Mocky et une vraie prédilection pour les plans d’ensemble.

Prenant la relève de ce regard nihiliste en accord parfait avec l’œuvre littéraire de Houellebecq, le film trouve enfin un rythme cohérent et une vraie beauté plastique dès lors qu’il entre de plein fouet dans la science-fiction. Le cinéaste tente alors une variation très personnelle du film d’anticipation, en suivant Benoît Magimel dans une longue errance au cœur de paysages post-apocalyptiques filmés comme chez Bela Tarr ou Antonioni, tout en prenant soin de sublimer les décors volcaniques et abstraits de l’île de Lanzarote. Si tout cela nous fait inévitablement penser à la scène finale du "Théorème" de Pasolini, le film accentue sa radicalité en régressant volontairement vers le muet et ose même la relecture mythologique en montrant le dernier homme chercher la dernière femme. Et si Houellebecq laisse leur rencontre à l’état de possibilité, ce n’est que pour mieux renouer avec la signification profonde de son titre, pour le coup très respectueux du contenu philosophique du roman. Grand écart entre l’épure totale et la série Z bizarroïde, "La Possibilité d’une île" ne peut que dérouter et, au final, c’est ce qui en fait sa singularité. L’impossibilité d’un film ? Disons plutôt la possibilité d’un autre cinéma.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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