POSSESSOR
Violence graphique
Tasya Vos est une tueuse d’un nouveau genre : elle peut prendre possession d’un corps et réduire la volonté de son hôte à néant. Ainsi, avec le meilleur des déguisements, elle peut commettre ses crimes en toute impunité. On lui confie une nouvelle mission : éliminer un magnat de l’informatique et sa fille en passant par l’amant de cette dernière. Tasya n’a que quelques jours pour effectuer sa mission, après cela, elle risque de rester bloquer dans le corps du gendre…
Brandon Cronenberg (dont c’est le second long métrage après "Antiviral") aborde des thématiques chères à son père dans ce film. "Possessor" semble en effet s’inscrire dans la droite lignée de "Scanners", "Videodrome" et "Existenz" dans son interrogation de la place de la technologie dans nos vies et les nouveaux rapports au corps qu'elle induit.
Deux technologues futuristes sont présentées dans "Possessor". La première, déjà mise en scène dans "Ultimate Game", consiste en la possession d'être humain, cette fois-ci à leur insu. Tout le travail du personnage de Tasya Vos est de donner le change, d'apprendre à parler et à se comporter comme ses hôtes, afin que que l'illusion soit parfaite auprès de leurs proches, jusqu'à ce qu'elle presse la détente. L'autre avancée mise en scène ici est celle du data mining, au travers de la profession de l’amant. Sans aller jusqu'à une forme de critique, Brandon Cronenberg met en scène ces nouveaux "mineurs" comme le bas de l'échelle sociale. Ils travaillent dans l'ombre, leur bureau est virtuel et ils observent des utilisateurs via leur webcam afin de pouvoir proposer de la publicité ciblée. Laquelle des deux technologies est la plus terrifiante et la plus inquiétante pour les libertés individuelles ? À vous de juger.
Le sujet de "Possessor" n'est pourtant pas là. La technologie n'est que le moyen de poser une question plus grande sur le rapport au corps et sur la violence qui émane de la possible dissociation du corps et de l'esprit. Chez les Cronenberg père et fils, le corps est le garant. Le garant de la sécurité, mais aussi de la santé mentale et de la réalité. Dans une immersion totale où le corps n'est plus réel, la violence la plus sourde et la plus folle sont possibles, car rien n'est concret. Sans le corps qui fait et le corps qui reçoit, la douleur n'est pas réelle et la violence peut être totale car elle est désincarnée. Et c'est justement ce qui se passe dans "Possessor", Tasya n'est pas dans son corps, elle peut donc se livrer à son sadisme en toute impunité et en toute sécurité. La séparation de l'esprit et du corps, ainsi que la possibilité de s'incarner dans un autre corps que le sien induit une destruction totale de tous les liens humains. La sincérité, la douceur, l'amour, la confiance et même l'identité disparaissent quand le visage peut être un masque et quand la réalité n'est rien d'autre qu'une projection de laquelle on peut s'abstraire sans risque.
Ainsi, "Possessor" s'apparente à une descente aux enfers d'une tueuse professionnelle qui, en perdant son rapport à la réalité à force de s'incarner dans d'autres, laisse libre cours à sa violence pour tenter de ressentir quelque chose à nouveau. Dans son esthétique, "Possessor" tient plus d'"Only God Forgives" que d'"Akira", mais Brandon Cronenberg va plus loin dans l'expérimental que ce que peut proposer le danois Nicolas Winding Refn. Il travaille par exemple sur des montages très saccadés avec des lumières vives et des jeux de miroir qui dissolvent la perception et permettent la cohabitation de plusieurs niveaux de réalité. Enfin, il tente de mettre en scène la transmutation physique d'un corps dans un autre dans une séquence expérimentale qui montre à quel point, dans cette famille, l'esprit n'est qu'un fantôme dans une machine, qui n'est rien de plus qu'un amas de matière organique. Gagnant au Festival de Sitges, catégories meilleur film comme réalisateur, le film pourrait bien séduire le jury du Festival de Gérardmer 2021.
Thomas ChapelleEnvoyer un message au rédacteur