POSSESSIONS
Péchés des capitaux
Le fait divers du Grand-Bornand dont est tiré l’histoire de ce quatrième film d’Éric Guirado n’est que prétexte à l’analyse d’une certaine lutte des classes. Il met en scène des gros beaufs qui quittent leurs galères quotidiennes pour intégrer le milieu des très aisés. Leur aspiration ? Vivre « à la manière de » ceux qu’ils voient tous les jours dans des séries télévisées écervelées et qu’ils prennent comme une certaine réalité de vie accessible à tout un chacun.
« Possessions » raconte l’histoire d’une famille aveuglée par des publicités qui vendent du rêve et qui considère qu'elle a le droit d’en revendiquer un part. « Possessions » tire le portrait d'un couple qui ne trouve pas sa place dans le nouveau territoire qu’il occupe. C’est un peu comme si les Rapetou prenaient leurs aises à Disneyland. Durant les premiers jours, tout est calme. Au bout d’un mois, c’est la débandade, les pulsions premières prenant le dessus.
Chez Guirado, c’est l’argent qui monte à la tête des Caron. Cet argent qui permet d’acquérir des biens matériels, de se sentir puissant et qui fait tourner les têtes. Jalousie et convoitise s’emparent des Caron qui dans « Possessions » ne possèdent rien mais sont possédés par le démon des péchés capitaux. L’envie de richesses matérielles, l’orgueil de penser que l’on a tout sans rien, la colère d’être traités comme des moins que rien : des péchés capitaux qui mènent à la folie meurtrière.
Avant « Cloclo » la semaine prochaine, Jérémie Renier se montre sous un autre jour. Le jeune comédien, habitué des films des frères Dardenne (« L’Enfant », « Le Gamin au vélo »), interprète ici le beauf dans toute sa splendeur : vêtements, coiffure, 18 kg de plus, gestuelle et démarche, tout est parfait ! Son penchant pour le MacDo, le tuning et le pire de la télé cache un tempérament soumis, une faiblesse, une peur de l’autre qui chez cet homme explique aussi pourquoi il passe à l’acte.
Face à lui, sa femme, impeccablement jouée par une Julie Depardieu qu’on a rarement vue sous ce jour, le traite comme un sous-homme, le fait culpabiliser, le manipule, oriente ses décisions pour l’amener au pire : vers ce qu’elle-même n’aurait pu faire de son propre chef mais qu’elle désire profondément et refoule secrètement. Ce sont les mains de son mari qui tuent les Castang mais c’est son esprit qui est présent pendant le crime. En termes de possessions, on peut dire que Maryline Caron possède son mari Bruno.
C’est donc l’angle psychologique que choisit Guirado pour analyser cette terrible histoire. Son film n’a donc pas le souffle d’une enquête policière ou d’un drame passionnel. On pourrait d’ailleurs lui reprocher son côté trop factuel et un peu lisse, qui glisse sur ce fait d’hiver ne faisant finalement que la part belle à l’interprétation de ses comédiens… Une interprétation parfaite également chez les Castang, avec un Lucien Jean-Baptiste (« La première étoile ») et une Alexandra Lamy (« Ricky ») profondément investis dans l’amour de leur cocon familial mais terriblement distants des besoins de leur nouveaux locataires. Si la réalisation colle parfaitement à la psychologie des personnages (voir l’utilisation judicieuse de la caméra à objectif décentré), elle manque de punch et de tension, ce qui aurait rendu au drame, qui se joue doucement sous nos yeux, ses vraies lettres de noblesse.
Mathieu PayanEnvoyer un message au rédacteur