PORTRAITS FANTÔMES
Vivre au milieu des fantômes du cœur
Un portrait de la ville de Recife par un de ses résidents, le réalisateur Kleber Mendoça Filho…
Dès son premier long métrage, "Les Bruits de Recife", le cinéaste brésilien Kleber Mendonça Filho s’est attaché à capturer l’esprit de cette ville dans laquelle il a grandi. Pour lui, il ne s’agit pas simplement d’un lieu, mais d’une partie de lui-même. Si on a dû attendre 2012 pour le connaître internationalement, le réalisateur était déjà un artiste local renommé, entre ses projets expérimentaux, son travail de journaliste et le cinéma dont il assurait la programmation. Mélange d’archives et d’images filmées sur le vif, "Portraits fantômes" est le portrait amoureux d’une métropole au décor changeant selon les décennies.
De ces paysages et mangroves des années 60, il ne reste plus grand-chose aujourd’hui, le béton et les gratte-ciels occupant désormais les cartes postales. En creux, c’est aussi l’histoire d’un pays qui est saisie, de la montée de sa violence (les habitations qui se parent de grillages de protection) et du radicalisme croissant d’une partie de la population. Mais le documentaire n’a pas de vocation pamphlétaire, préférant la nostalgie et le lyrisme à la politique. Dans l’appartement de sa mère, le metteur en scène s’amuse à nous rappeler à quel point cette habitation a été centrale dans sa vie (mais également dans ses métrages). Les mêmes rues, les mêmes maisons… Toujours, et encore !
Pourtant, ce sont des récits différents qui y sont contés : la saga d’une famille ancrée dans un territoire, des scenarii de films, des vidéos enfantines, des soirées entre amis. De ce panorama où la fiction vient même jusqu’à surgir par moment dans le réel, on retiendra l’introspection forte d’un homme incapable d’oublier ses racines. Documentaire intime et lettre d’amour à cette ville de l'État du Pernambouc, "Portraits fantômes" méritait sa sélection au Festival de Cannes 2023, aussi bien pour ce qu’il raconte sur l’auteur de "Aquarius" et "Bacurau" que pour sa dimension témoignage en filigrane, reflet d’un pays à proie à des tourments sociétaux galopants.
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur