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PORTRAIT DE LA JEUNE FILLE EN FEU

Un film de Céline Sciamma

La parenthèse passionnée d’une jeunesse sacrifiée

À la fin du XVIIIe siècle, Marianne, donne des cours de peinture à quelques étudiantes. L’une d’elle découvre au fond de l’atelier, un tableau représentant une jeune fille dont le jupon prend feu. La professeure, visiblement très émue de revoir cette toile, se remémore alors son passé : quand une comtesse lui demanda de réaliser en secret le portrait de sa fille Héloïse, afin de pouvoir la marier…

Au siècle des Lumières, la condition féminine connut quelques infimes progrès dans les milieux lettrés ou artistiques. Certaines filles d’artisans pouvaient assister leur père ou prendre leur suite. Ainsi, quelques femmes peintres ont fait carrière sans pour autant avoir la reconnaissance de leurs homologues masculins. Le personnage de Marianne fait partie de ces femmes qui ont connu une certaine émancipation grâce à leur art. Un cas malheureusement isolé, car à l’aube de la révolution française la place de la femme est encore réduite aux tâches domestique et à l’enfantement.

Fille de la noblesse, Héloïse a été sortie de son couvent pour remplacer sa sœur qui a failli à son rôle de monnaie d’échange entre familles. Pour bien s’assurer que celle-ci ne succombe pas aux mêmes élans morbides que son aînée suicidée, la comtesse maintient sa cadette cloîtrée, le temps de la marier. Or pour cela il faut que le prétendant et sa famille aient une petite idée de ce pour quoi ils s’engagent. Un portrait est donc demandé. Mais la jeune fille pourtant si calme, refuse de poser pour être marchandée.

Sacrifiée sur l’autel des convenances, Héloïse meurt d’ennui et s’émeut de la moindre note de musique, de la moindre page à lire ou de quelques pas de courses qui la sortiraient de la torpeur dans laquelle elle est enfermée. L’arrivée de Marianne est pour elle une grande bouffée d’air frais. La jeune peintre est alors de plus en plus mal à l’aise à l’idée de peindre Héloïse à son insu. Libérées pendant quelques jours de la surveillance de la comtesse, les 2 jeunes femmes ainsi que Sophie la servante vont pouvoir disposer de leurs journées comme elles l’entendent.

Cette parenthèse de liberté est l’épicentre de cette grande fresque romantique. Le talent d’écriture de Céline Sciamma (récompensé du Prix du scénario à Cannes) s’approprie à merveille les codes du genre pour nous emmener dans un passionnant récit digne de Charlotte Brontë en littérature ou de "La leçon de piano" au cinéma. Sur fond de chronique sociale, la réalisatrice tisse méticuleusement le canevas d’une grande histoire d’amour. Cette passion tout d’abord étouffée par les interdits explose le temps de quelques jours où les héroïnes vont pouvoir vivre et expérimenter tout ce qu’elles désirent.

Ce souffle de liberté qu’elles savent éphémère, elles en profitent pleinement comme si le temps s’était arrêté. Les tourments de la séparation arriveront bien assez tôt pour ne pas gâcher des instants si précieux. C’est ici que la réalisation de Céline Sciamma se démarque des références du genre. Ses deux amantes ne sont pas torturées par leurs actes. À aucun moment elles n’éprouvent la moindre culpabilité ou le moindre doute. Seul l’amour compte.

Céline Sciamma offre ainsi à Adèle Haenel un rôle magnifique d’héroïne romantique. L’occasion pour la jeune actrice d’incarner un personnage qui se laisse « emporter » par un autre, elle à qui on propose si souvent des rôles aux caractères affirmés. Silhouette de soie émeraude qui se dessine sur les rouleaux d’écumes de la côte d’Opale, elle est le modèle de la réalisatrice, la figure digne d’une jeunesse sacrifiée aux éléments. Tableau magnifique, "Portrait de la jeune fille en feu" est aussi un roman qu’on ne peut pas lâcher. Une œuvre juste, puissante et sensible qui démontre, une fois de plus, le talent de Céline Sciamma pour conjuguer mise en scène et scénario.

Gaëlle BouchéEnvoyer un message au rédacteur

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