POLE DANCE : HAUT LES CORPS !
Le féminisme là où on ne l’attend pas forcément !
Aux États-Unis, des femmes pratiquent la pole dance pour se réapproprier leur corps et leur sexualité, retrouver confiance et estime d’elles-mêmes, échapper aux jugements et aux regards des hommes…
Sortie le 5 février 2021 sur Netflix
Si on parle de pole dance, la plupart des gens pensent d’abord à son potentiel érotique, et notamment à son utilisation dans des clubs de strip-tease, car c’est ainsi que cela s’est ancré dans l’inconscient collectif, en partie à travers l’histoire du cinéma. Au mieux, grâce à son développement récent, on commence à envisager cette discipline comme une activité purement sportive (bien qu’on la désigne alors plus avec l’expression « pole sport » ou plus simplement « pole ») ou comme un spectacle acrobatique au même titre que le tissu aérien ou le trapèze. Il est en revanche peu probable que quelqu’un pense immédiatement aux potentialités cathartiques et féministes de la pole dance !
Cette approche épanouissante, qui dépasse le seul intérêt sportif, est donc la raison pour laquelle ce documentaire est surprenant et captivant. Malgré une structure peu concluante, avec un côté répétitif et des allers-retours géographiques qui n’ont pas forcément de sens, "Pole dance : haut les corps !" s’avère passionnant pour sa capacité à bousculer les certitudes. Pendant une bonne partie du visionnage, il est aisé d’être sceptique, en se disant que ces femmes reproduisent des clichés érotiques forgés par le patriarcat et qu’elles restent prisonnières de normes bien ancrées qu’elles ne se donnent pas les moyens de déconstruire. Si la justification technique du port du bikini est audible, le recours aux talons aiguilles est par exemple moins convaincant.
Néanmoins, au fil des séquences et des témoignages, on se rend compte que cette pratique désinhibée de la pole dance revient tout simplement à faire fi de TOUTES les injonctions, qu’elles viennent d’influences conservatrices et notamment religieuses (dont parlent plusieurs participantes du documentaire) ou de courants a priori progressistes (que le film évoque plus implicitement à travers des regards jugeants qui peuvent tout à fait provenir, par exemple, de certaines conceptions féministes radicales rejetant toutes formes d’érotisme en les considérant automatiquement comme aliénantes).
L’idée maîtresse de ces cours de pole dance (et a fortiori le message que transmet aussi ce documentaire dont l’équipe est très féminisée) est donc de s’émanciper de tous les regards, notamment le fameux « male gaze » mais aussi le regard de ces femmes envers elles-mêmes, afin que chacune puisse assumer pleinement son corps, sa sexualité et sa sensualité, laisser de côté toute forme de honte, et donc se sentir libre. Dans une logique post-MeToo, ces femmes trouvent ainsi le courage de se montrer telles qu’elles sont et de témoigner des viols, des adultères, du syndrome de l’imposture, des complexes et de tant d’autres obstacles et souffrances, permettant au film d’aborder de nombreuses thématiques féministes mais aussi d’autres sujets comme le deuil ou le combat contre le cancer.
Bien qu’un peu décousu, "Pole dance : haut les corps !" a le mérite de montrer une grande diversité de femmes, de leur donner la parole, de raconter leurs histoires. Parmi celles-ci, figurent Sheila Kelley, une actrice qui explique comment elle a eu l’idée de ces thérapies par la pole dance à partir de sa propre expérience sur le film "Dancing at the Blue Iguana" (2001) ; Amy Bond, une compétitrice de pole qui explique les conséquences de sa brève carrière d’actrice porno ; ou encore Megan Halicek, ex espoir de la gymnastique qui a fait partie des nombreuses victimes du médecin Larry Nassar (son histoire permettant de compléter le documentaire "Team USA : Scandale dans le monde de la gymnastique", entièrement consacré à ce sujet).
"Pole dance : haut les corps !" devrait être regardé par toutes les personnes qui ne comprennent pas qu’il puisse y avoir une justification à certains cas de réunions/regroupements non mixtes : oui, c’est nécessaire quand il s’agit de libérer des gens de regards extérieurs oppressants, et ainsi de faire émerger la parole en l’absence de tout jugement ankylosant. C’est en effet en partageant leurs souffrances et leurs doutes avec leurs semblables (et seulement elles) que les femmes de ce documentaire parviennent à lâcher prise et à reprendre confiance en elles. La sincérité des mots et des larmes est souvent bouleversante au fil de ce film.
Les hommes ne sont toutefois pas caricaturés en un seul bloc, le film laissant aussi une juste place à ceux qui comprennent et accompagnent la démarche de ces femmes – on voit même un homme pratiquer lui-même cette discipline pour s’épanouir. De même, la réalisatrice, Michèle Ohayon, a l’intelligence de laisser la parole, certes brièvement, à une participante qui n’a pas adhéré au principe et a abandonné les cours, durant lesquels elle s’est sentie gênée. C’est finalement – et tout simplement – la leçon principale du film et de ces cours de pole dance : chaque individu est libre de vivre et de penser comme bon lui semble. Il suffit d’accepter.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur