POLARIS
POUR : D’amour et d’icebergs
Hayat, française installée en Finlande, est capitaine de bateau. Alors qu’elle navigue dans les mers glacées de l’Arctique, sa sœur Leila accouche de son premier enfant. Les parcours de vie des deux jeunes femmes, qu’un passé commun difficile lie profondément, se déploient alors en parallèle, sous l’œil bienveillant de la caméra d’Ainara Vera…
Une brume opaque que ne transperce qu’une voix, et puis : un point rougeoyant, flou ; un trait bleu, tremblant ; des triangles translucides qui se meuvent autour d’un bateau fendant l’eau, silencieusement. "Polaris", est un premier film. "Polaris", est aussi un chef-d’œuvre. Première réalisation de l’espagnole Ainara Vera, qui endosse de multiples casquettes (cheffe opératrice, monteuse), ce documentaire porte en lui les mêmes qualités qu’un film de fiction (beauté des plans, scénario bien ficelé, montage ingénieux) avec des soupçons de vérités en plus. Difficile en effet de ne voir en "Polaris" qu’un film documentaire, tant son histoire semble avoir été taillée pour les besoins d’un scénario, et sa forme étudiée à l’aide d’un solide découpage technique. Et pourtant, c’est bien la réalité que nous donne à voir la réalisatrice, qui a suivi au plus près la vie des deux protagonistes du film : Hayat, capitaine de bateau installée en Finlande, et Leila, sa sœur restée dans le sud de la France qui accouchera sous peu d’une petite fille.
Ainara Vera est une cinéaste exigeante pour le bien de ses spectateurs. On ne saura pas tout du passé difficile de ces deux femmes unies par un lien profond, comme on attendra un bon moment avant de relier entre elles toutes les pièces du puzzle que la réalisatrice nous présente tour à tour. Au fur et à mesure du film cependant, la lumière se fait, pâle puis chaude, avant d’irradier de toutes ses forces cette histoire qui parle d’amour, de l’amour qu’on se porte à soi-même et de celui qui nous lie aux autres. Dans cette atmosphère pleine de douceur, la caméra devient un œil bienveillant qui sait quand il est juste de se fermer. Présenté à l’ACID dans le cadre du festival de Cannes 2022, "Polaris" est un film qui floute encore un peu plus les barrières entre réalité et fiction, se plaçant en cela dans un registre profondément cinématographique. La superbe découverte d’une déjà grande réalisatrice.
Amande DionneEnvoyer un message au rédacteurCONTRE : Docu polarisé
Oh, le joli petit objet existentiel que voilà ! Qu’il s’agisse d’un documentaire ne change rien à l’affaire – une fiction aurait abouti au même résultat. Que le cercle polaire fasse partie intégrante du scénario n’est qu’un détail – opter pour la jungle amazonienne ou le désert de Namibie n’aurait pas fait varié le récit d’un iota. En fait, "Polaris" est un film qui va, à coup sûr, polariser les ressentis, certains y glanant quelque chose d’évident sur les épreuves de l’existence là où d’autres finiront la projection en s’interrogeant sur ce dont il a été réellement question. Dès son premier plan (d’ailleurs pas très clair au niveau de la pure diégèse scénaristique qui va suivre), tout est dit : une silhouette tente de se frayer un chemin dans une tempête de neige qui déchaîne ses éléments et dont le blanc ne cesse de vouloir remplir tout l’écran. On a bien pigé : il va être question d’un personnage qui « cherche son chemin », mais on pourrait a posteriori y voir, par lecture détournée, la promesse d’un spectateur qui « cherche un film ».
Et en l’état, en passant d’une narration parallèle (deux sœurs vivant chacune une « épreuve » à des points géographiques opposés) à un récit plus resserré (la réunion fraternelle laisse place à la mise au point), la lutte intérieure sur laquelle Ainara Vera semble se focaliser a quelque chose de très factice. La raison ? Il y en a deux. D’abord la voix-off qui mène le récit et qui ne laisse rien à bouffer aux images. Ensuite le récit lui-même, qui parallélise une fuite en avant vers le large et une naissance sous couvert de vouloir conjurer la peur de l’abandon – un très beau sujet que le film esquisse au lieu de l’embrasser pleinement par sa mise en scène.
De facto, on passe tout le film à regarder non pas un récit vivant et vibrant, mais une suite d’images (parfois très belles) qui se laisse gagner par le néant que le film prétend vouloir affronter. Sa première moitié se fait ainsi très Ushuaïa dans l’âme (plan aérien sur un bateau qui tamponne un tout petit iceberg… et dont le son frise le gag !), avec par-ci par-là quelques morceaux de vie maternelle dignes des pages d’un magazine féminin. C’est dans sa seconde moitié que tout se précise, la question de la place de tout un chacun (celle qu’on lui assigne ou celle qu’il se choisit) devenant alors le centre névralgique de chaque échange verbal ou téléphonique.
Mais comme on l’évoquait plus haut, l’histoire familiale maudite qui entoure les deux sœurs se voit illico prise en main par un texte en off qui raconte le propos intériorisé au lieu d’accompagner les images (on sent parfois un décalage pénible avec le propos parlé et l’image visualisée). Quelques rares instants de plénitude, montrant l’héroïne en train de s’apaiser au contact des éléments (notamment de l’eau chaude dans un contexte glacial), a au moins la décence de dégager un minimum de cette décharge sensorielle et émotionnelle que "Polaris" aurait dû nous prodiguer. C’est ce que l’on aurait aimé avoir : quelque chose de chaleureux, rien de trop glacial.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur