PLAYLIST
On a enfin notre Frances Ha !
A 28 ans, Sophie rêve de devenir dessinatrice, mais comme elle n’a pas fait d’école d’art, l’horizon ne cesse de s’assombrir. En attendant, elle enchaîne les petits boulots, serveuse par-ci, secrétaire dans une maison d’édition par-là. Et elle multiplie les expériences amoureuses. Dans tous les cas, elle prend des coups quand elle n’en donne pas elle-même…
Une fois n’est pas coutume, rentrons par la sortie. Il faut en effet attendre le générique de fin pour que le titre du film trouve sa justification : des séquences drôles et décalées qui, chacune à leur manière, de par leurs répliques punchy et la ligne narrative zinzin sur laquelle elles sont disposées, sont assimilées à une playlist musicale. Avec, bien sûr, les illustrations griffonnées qui vont avec. Cela tient au fait que la dessinatrice de BD n’est pas seulement l’héroïne du film, mais aussi sa réalisatrice Nine Antico, laquelle injecte ainsi de fortes résonances autobiographiques dans ce premier film.
Le fait que le film sonne aussi vrai lui doit sans doute beaucoup, mais il en est de même pour le délicieux degré de folie qui caractérise le résultat, pour le coup très éloigné de ce cliché de la « comédie parisienne bobo » qui persiste à exploiter la nonchalance et la paresse des jeunes adultes comme des attrape-nigauds pseudo-auteuristes. Nine Antico, elle, a un regard, un ton, un point de vue, ainsi que mille idées de situations à décliner.
Ainsi donc, dans "Playlist", on vit l’existence au jour le jour comme si la ligne claire n’était qu’une vue de l’esprit. On galère à joindre les deux bouts dans un appart où rien n’est rangé et où on dort à même le sol. On croise des gens qui ont tous un grain dans leur tête : un patron d’entreprise à la lisière du cassos bipolaire, un champion olympique en matière de citations de peintres célèbres, un artiste pédant dans ses revendications, etc... On aime et on travaille de la même manière, c’est-à-dire en accumulant les ratés et les maladresses sans jamais y voir des freins. Et pour couronner le tout, on entend Daniel Johnston chanter True love will find you in the end à chaque fois que l’héroïne flashe sur un mec (avec le nom qui s’affiche – entier ou rayé – sur le bas de l’écran !).
On met d’ores et déjà notre main à couper que le cinéphile lambda ne mettra pas plus d’un quart d’heure à voir clignoter en rouge deux noms très spécifiques. D’abord celui de Philippe Garrel, dont l’obsession à s’approcher des états d’âme d’une certaine jeunesse parisienne et le noir et blanc sublime à la mode Raoul Coutard trouvent ici un nouveau cousinage, cela dit beaucoup plus propice au décalage et à la fantaisie. Ensuite celui de Noah Baumbach, dont "Playlist" finit par s’imposer, peut-être malgré lui, comme un pendant hexagonal de son inoubliable "Frances Ha". C’est que Sara Forestier, dans son jeu décidément plus punchy que la moyenne et son rôle d’héroïne débrouillarde qui se laisse porter par les aléas du présent, a vraiment quelque chose de cette jeune trentenaire newyorkaise autrefois incarnée par Greta Gerwig.
Elle n’est pourtant pas la seule à transformer les galères du quotidien en cirque burlesque : si Laetitia Dosch continue d’enterrer 95% de nos actrices hexagonales dès qu’il s’agit de jouer les débrouillardes timbrées (on est de plus en plus fan !), le reste du casting n’est pas non plus en reste pour conjuguer charme et folie dans un quotidien sans cela plus morne tu meurs – mention spéciale à l’hilarant Grégoire Colin adepte des coups de gueule et à la si jolie Inas Chanti adepte des coups de boule !
A noter que plus le film avance, sans cesse porté par une bande-son toujours plus variable en fonction des changements d’avis et d’histoires, plus sa mise en scène a priori statique acquiert le relief d’une suite de cases de BD – notons l’apparition surprise des dessinateurs Killoffer et Cyril Pedrosa. En réalisatrice consciente de devoir adopter ici un langage qui n’est en rien le décalque pur et simple d’un autre (le verbe « adapter » se veut à triple sens), Nine Antico utilise ici le médium cinématographique comme prolongation du support BD, via un double système de plans fixes – où l’essentiel se joue sur les échelles de plan – et de travellings latéraux – où l’on retrouve l’une des caractéristiques de lecture des cases de BD.
En définitive, là où l’on aurait pu redouter la monotonie découlant d’une simple succession de scènes « statiques » se dessine au contraire une relecture décalée du quotidien, qui capte la seule irruption de l’ange du zinzin dans un cadre subtilement posé et composé, signe d’une passerelle indiciblement maîtrisée entre la BD et le cinéma. Les fous rires sont ainsi aussi nombreux que les sourires purs. Et de ce film dont le seul véritable défaut est d’être beaucoup trop court, on ressort en se disant que l’accroche sur l’affiche n’avait strictement rien de mensonger : voilà bien LE film dont on avait vraiment besoin en ce moment pour se faire du bien.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur