PLAY
Toute résistance est inutile
Max n’avait que 13 ans lorsqu’on lui offrit sa première caméra. C’était en 1993. Vingt-cinq ans plus tard, il a accumulé chez lui tant de documents vidéo, témoignages de ces années où il ne s’est jamais arrêté de tout filmer : ses amis, ses amours, ses succès, ses échecs. Tant d’années à revivre pour dessiner le portrait de toute une génération…
À quoi doit-on un « coup de cœur » au cinéma ? Pour un critique au sens strict, cela peut tenir très simplement à la joie de découvrir un film répondant à tous les critères de ce qui constitue (selon lui !) une « œuvre parfaite », tant sur le plan créatif que thématique. Pour un spectateur au sens large, cela peut tenir à mille et une choses : un regard, une musique, un jeu d’acteur, une émotion qui vise juste, une sensation de vécu. Dans les deux cas, on est souvent contraint de reconnaître à quel point le constat objectif sur la fabrication d’un film se fait très souvent griller la politesse par le ressenti subjectif, lequel ne se discute pas en plus d’être souvent difficile à défendre et à argumenter. "Play" est un film qui valide pleinement cette règle en même temps qu’il l’invalide malicieusement. De par ce qu’elle réussit à imposer comme sentiments multiples aux jeunes trentenaires d’aujourd’hui (ceux dont l’enfance et l’adolescence fut circonscrite entre les années 1990 et 2010), la nouvelle comédie du duo Boublil/Marciano est comme une DeLorean configurée en direction de ces deux décennies riches en événements capitaux et constitutifs de leur psyché. Et pour les autres tranches d’âge, la sensation de se sentir proche de ce que propose l’écran, d’y dénicher mille projections en lien avec son propre vécu, y est cent fois plus prégnante qu’au travers d’un documentaire lambda. De quoi aboutir au final à un vrai film fédérateur et intergénérationnel qui sait parler au cœur, au cerveau et aux zygomatiques. Peu importe votre âge, peu importe votre position de spectateur. C’est un vrai coup de cœur qui vous tend les bras : pur, direct, évident, chaleureux. Et toute résistance est inutile.
De la part de ce tandem de jeunes scénaristes – qui nous avait fait sourire avec "Les Gamins" puis serrer les dents avec leur consternante relecture de "Robin des Bois" –, la surprise est d’autant plus de taille que tout repose ici sur un high-concept d’une inquiétante simplicité. En gros, "Play" est construit comme une compilation d’instantanés vidéo étalés sur pas moins de 25 ans, shootés par une caméra qui aura évolué en même temps que les protagonistes (du caméscope à l’écran d’iPhone, le spectre visuel est large), et centrés sur l’évolution des rapports au sein d’un groupe d’amis, allant de l’enfance vers l’âge adulte, avec tout ce que cela suppose de joies, de malheurs, d’amours, de ruptures, d’espoirs, de désillusions, de conflits et de dilemmes. Simple comme bonjour. Sauf que ce que l’on assimile durant les cinq premières minutes à un patchwork flemmard et dépourvu d’idées de cinéma a vite fait de nous mettre à genoux par un art consommé de la fulgurance (au sens large), tant comique qu’émotionnelle. Ce n’est donc pas que le répit n’existe pas ici, c’est surtout que le film est tellement « plein » sur son tableau d’une génération en cours que ce qu’il montre relève toujours de l’évidence. Avouons-le, on pense tout de suite au récent "Boyhood" de Richard Linklater. Sauf que la seule erreur de ce dernier, à savoir le fait de compiler de vrais extraits de tranches de vie en oubliant de les relier par un découpage un tant soit peu instinctif et musical, n’existe jamais dans "Play".
Si certains estiment qu’une compilation de morceaux de vie avec une image crado a pour corollaire un véritable déni de mise en scène, il vaut mieux qu’ils se préparent à revoir leurs acquis. Chaque scène du film, élaborée selon les conventions modernes du found footage, est ainsi élaborée à la manière d’une pure mise en scène, assumée et cohérente, où chacun – le filmeur comme le filmé – se donne en spectacle pour mieux donner du relief à son quotidien. Les instants choisis sont donc ceux où une simple caméra, cachée ou exhibée, illustre ce que l’on a souvent défini comme étant « la vérité par l’artifice ». Soit un effet commun d’exhibition intime et d’ouverture sur le monde qui déploie comme un éventail le champ des possibles d’une situation, la poussant toujours plus loin vers le comique quand elle semble triste (et vice versa). La frime et l’immaturité sont à la fois des actes de résistance et des preuves de singularité, en l’état d’une drôlerie souvent démentielle – on peut encore se bidonner comme des fous devant un playback cucul-la-praline ou un pénis dessiné sur le front. Le rapport aux parents (Alain Chabat et Noémie Lvovsky, tous deux absolument parfaits) révèle ici moins des conflits entre générations que des instants en suspension où l’égalité est de rigueur – le fait de filmer et d’être filmé contribue ainsi à décaler les choses. Quant aux dates les plus marquantes qui jalonnent une vie en gestation (comme une finale de Coupe de Monde en 1998, par exemple), elles induisent un témoignage de joie et d’unité à transmettre à la génération d’après.
Avec tout ça, l’image vidéo n’est plus seulement l’instantané d’une vie, mais une bouteille lancée dans la mer du temps. Et la personne qui doit la pêcher peut très bien se révéler être celle qui l’a envoyée tant d’années avant et qui de facto saura comment aiguiller à nouveau son présent. Remonter le passé pour se relancer soi-même vers le futur. Un « retour vers le futur », en somme. On cite ici une référence, et ce n’est que justice, tant le film d’Anthony Marciano en est gavé jusqu’à l’usure. Des films à rejouer entre potes (un fan-film qui combine "Miami Vice" et "Halloween"), des spectacles à imaginer (Max Boublil met ici en abyme son expérience dans le théâtre et la publicité), et surtout des musiques à partager. Ce sont d’ailleurs ces dernières qui comptent pour beaucoup dans l’énergie interne du montage, surtout en raison d’une playlist monstrueuse qui couvre plus de deux décennies avec variété, allant de Charles Aznavour à M83 en passant par Hélène Rolles et Kanye West. On notera aussi ce qui doit sans doute être la meilleure utilisation sur grand écran du Wonderwall d’Oasis : non seulement ce qu’en avait fait Xavier Dolan dans "Mommy" passe désormais pour de la facilité, mais ce principe de reprise d’un même morceau par plusieurs courants musicaux incarne à merveille l’aspect composite et protéiforme du film – lui-même à l’image de ce puzzle éclaté qui symbolise une vie en chantier. Au fond, "Play" n’a pas besoin d’être analysé. Il faut juste le vivre, pleinement, instinctivement, comme lorsqu’on appuie sur le bouton du même nom afin de lancer la musique et de se laisser gagner par le rythme. On en ressort revitalisé et heureux. Avec une seule envie : faire re-"Play".
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur