PINGOUIN ET GOÉLAND ET LEURS 500 PETITS
La générosité dans toute sa splendeur
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Yvonne et Roger Hagnauer, surnommés Goéland et Pingouin, ont recueilli des dizaines d’orphelins, juifs ou non, dans une maison à Sèvres, tout en y développant une pédagogie alternative, qui s’est ensuite poursuivie jusqu’au début des années 1970. Le réalisateur Michel Leclerc revient sur cette expérience qu’a connu sa mère, dont les parents ont été déportés à Auschwitz…
On se demandait ce que pouvait donner un documentaire réalisé par Michel Leclerc, que l’on connaît pour ses comédies au cinéma (le chef d’œuvre "Le Nom des gens" mais aussi "Télé Gaucho", "La Vie très privée de Monsieur Sim" et "La Lutte des classes") ou à la télévision (plusieurs épisodes de la série "Fais pas ci, fais pas ça"). Mais il ne faut pas cinq minutes pour se rendre compte que ce projet est cohérent et que c’est typiquement du Michel Leclerc, dont la filmographie entremêle toujours gravité et légèreté en faisant souvent triompher cette dernière.
Et rapidement, une évidence saute aux yeux, une filiation à laquelle nous n’avions jamais pensée en regardant les précédents films de Michel Leclerc : "Pingouin et Goéland et leurs 500 petits" aurait pu être un documentaire d’Agnès Varda ! Un peu comme la cinéaste l’avait fait dans "Les Plages d’Agnès", Leclerc se met ainsi en scène, parlant régulièrement à la première personne du singulier et du pluriel sans pour autant se mettre en avant, citant ponctuellement ses films antérieurs, et cherchant constamment de la luminosité même là où pourraient dominer l’obscurité ou la mélancolie. En dépassant ainsi son propre nombril ou sa propre quête familiale (qui peut aussi rappeler la démarche d’Éric Caravaca dans "Carré 35", notamment pour son côté enquête et sa capacité à faire se rencontrer histoire personnelle et grande Histoire), Michel Leclerc délivre un message généreux et humaniste, et il rend un hommage juste et touchant aux autres, à celles et ceux qui l’ont inspiré et qui ont fait ce qu’il est devenu.
"Pingouin et Goéland et leurs 500 petits" séduit également pour sa forme hybride, particulièrement pour ses très beaux passages animés créés par Sébastien Laudenbach (le réalisateur de "La Jeune Fille sans mains"). Le résultat est parfois un peu bordélique mais tellement vivant et positif qu’on pardonne aisément les imperfections de ce long métrage. On pourrait simplement regretter que le film ne soit pas plus clair sur certains aspects et déplorer notamment que Leclerc n’explique pas pourquoi il se focalise sur les femmes alors que des archives montrent que des garçons sont aussi passés par la maison de Sèvres. Inversement, quelques passages s’avèrent plus didactiques et plus classiques dans la forme, mais ils s’avèrent nécessaires à la compréhension, notamment à propos du parcours d’Yvonne et Roger Hagnauer.
De toute façon, l’essentiel est là : le film brille pour son authenticité, sa tendresse, sa sincérité, son honnêteté (dont une critique des infâmes accusations de collaborationnisme jadis adressées à l’égard du couple Hagnauer), et il est doté entre autres d’une explicite apologie de l’ouverture aux autres plutôt qu’un repli vers la victimisation ou vers des affirmations identitaires sclérosantes.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur