LA PIEL QUE HABITO
La vengeance aux deux visages
Depuis la mort accidentelle de sa femme, qui a péri carbonisée dans une voiture, le chirurgien Robert Ledgard consacre toutes ses recherches à créer une peau de synthèse, destinée à sauver les grands brûlés. Pour mener à bien son étude, il n’hésite pas à utiliser un cobaye humain qu’il séquestre secrètement dans sa grande demeure de la banlieue de Tolède.
Voluptueuse et gracile, une silhouette épouse lentement les lignes épurées d’un élégant canapé de velours. Simplement vêtu d’un justaucorps couleur peau, ce corps juste révèle une plastique parfaite. Minutieusement, il répète méthodiquement les mêmes gestes quotidiens. Une routine raffinée qui ne semble guère peser sur cette beauté idéale. Pourtant, le monte-plat qui l’isole du reste de la maison n’évoque rien de sain.
L’intrigue est posée ! Un à un, les rouages de la machination s’emboîtent pour dévoiler une mécanique parfaitement huilée. Orfèvre en la matière, Pedro Almodovar pose son histoire avec la précision du scalpel. Adapté du roman de Thierry Jonquet, “Mygale”, le scénario se construit tel une toile d’araignée. Un piège tissé de toutes pièces par le Docteur Ledgard : un savant fou… de sa femme disparue. Une histoire complexe, qui se dénoue dans les trente dernières minutes, avec une remarquable fluidité.
Merveilleux conteurs d’histoire, Pedro et Augustin Almodovar enrayent la difficulté du récit, en dosant justement tous les révélateurs. Un rythme savamment orchestré qui, une fois établi, offre au réalisateur la totale liberté d’embellir son film. L’esthétisme chez Almodovar est un délicieux pléonasme. Véritable marque de fabrique, la beauté des décors évolue de film en film, subtile et authentique. Ici, l’auteur laisse de côté les couleurs tranchées pour se fondre dans des tonalités plus minérales. Minimaliste, l’environnement se fond pour concentrer l’attention sur l’extraordinaire beauté de Vera, accentuant ainsi le côté aseptisé du personnage trop beau pour être vrai. Seul un mur au graphisme irrégulier vient perturber l’unité de cette chambre lisse, telle l’empreinte subtile d’un passé tourmenté.
Véritable œuvre d’art, la femme se révèle icône inaccessible au travers d’un écran géant. Incarnée magnifiquement par Elena Anaya (“Hierro”, “Room in Rome”, “A bout portant”), la nouvelle égérie du maître succède à Penelope Cruz dans un registre différent. Ici, la femme est fatale par son mystère. Sa force s’exprime corporellement, et non par son tempérament. Plus qu’une femme objet, elle est l’œuvre machiavélique de ce Docteur Frankenstein ibérique.
Thriller assumé, “La Piel que habito” n’en oublie pas pour autant d’être un “Almodovar”. Les répliques cyniques font mouche, et quand débarque au milieu de nulle part un homme déguisé en tigre sexy, on ne peut que jubiler de retrouver un personnage totalement loufoque comme dans chacun de ses films ; des seconds rôles hauts en couleurs, aux travers desquels Almodovar laisse libre cours à ses délires les plus fous. D’un genre différent, le film manque peut-être un peu d’émotion en comparaison des œuvres précédentes, souvent plus introspectives. Il n’en est pas moins une réussite qui ravira les néophytes autant que les afficionados du cinéaste espagnol. Un film abouti qui vous laissera, sans conteste, à fleur de peau !
Gaëlle BouchéEnvoyer un message au rédacteur