LA PIÈCE MANQUANTE
Une douce gravité
Premier long-métrage du réalisateur Nicolas Birkenstock, "La Pièce manquante" dévoile avec simplicité une situation d’abandon pourtant complexe. Un matin, Paula (Lola Dueñas) décide de quitter le nid familial, laissant à son mari André, Violette et Pierre, leurs deux enfants. Suite à la disparition soudaine de sa femme, André, interprété par Philippe Torreton, doit alors faire face à cette nouvelle gérance.
La majeure partie de l’intrigue se déroule dans cette grande demeure familiale où évoluent ceux qui restent, ou plutôt les abandonnés. Dans ce grand espace où leur mère étouffait, il y a de la place pour les questions. Le questionnement, c’est d’abord celui du père, lui-même confronté à celui de ses enfants, l’un silencieux, l’autre en demande. Et par cela, le regard du réalisateur sur la famille : qu’est-ce qui constitue une famille ? Jusqu’où peut-on parler de famille ? Un thème que Nicolas Birkenstock connaît bien puisqu’il l’a déjà abordé dans ses précédentes réalisations (les courts-métrages "Mon miroir" ou "Le Bout des doigts"), sans savoir à l’époque que les débats sur la famille reviendraient aujourd’hui dans l’actualité.
Et pour traiter ce sujet délicat, Nicolas Birkenstock choisit la simplicité. La narration est épurée, une qualité que l’on retrouve dans la mise en scène avec l’ouverture du film au ralenti, la grâce des images de trampoline où l’on s’envolerait presque avec Violette (Armande Boulanger) ou encore l’enchainement éthéré des plans. Malgré la tempête intérieure que vivent les personnages, Nicolas Birkenstock prend le temps de poser chacun de ses cadres avec un calme certain, sans verser non plus dans la rigidité. C’est cette contradiction maitrisée qui rend le film précieux dans sa forme, laissant au fond faire son boulot.
Le fond c’est la confrontation des présents à l’absence. Peu habitué à jouer au père, André est subitement renvoyé à son rôle. Et dans cette tâche peu aisée, il trouve progressivement ses marques et se surprend même à se redécouvrir. Alors que Paula étouffait, André apprend lui, à respirer.
La réussite de ce doux mélange se trouve enfin du coté des acteurs et de leur sincérité dans le jeu. Armande Boulanger, découverte cette année dans le long-métrage de Nicolas Bary "Au bonheur de ogres", tient tête à son père avec fermeté. Lola Dueñas, actrice espagnole vu chez Almodovar ("Volver", "Étreintes brisées" ou "Les Amants passagers"), nous laisse croire à la possibilité d’un envol malgré sa courte présence à l’écran. Enfin, en père de famille maladroit et désorienté, Philippe Torreton est quant à lui, touchant.
Du vertige à la reconstruction, on apprécie la finesse du cheminement qui se dessine comme un fil tendu au dessus du précipice. Dans ce puzzle familial où chacun vient trouver sa place, Nicolas Birkenstock se fraye, avec ce premier long-métrage, un chemin entre délicatesse et bienveillance.
Anne-Claire JaulinEnvoyer un message au rédacteur