Festival Que du feu 2024 encart

PIAFFE

Un film de Ann Oren

Un OVNI hippique

Alors qu’elle est chargée de créer des bruitages pour un film publicitaire mettant en scène un cheval, Eva constate petit à petit qu’une queue de cet animal est sur le point de lui pousser…

Ces dernières années nous avons été bercés par les histoires de lycanthropes, vampires et autres créatures fantastiques. Ann Oren décide quant à elle de teinter sa métamorphose du côté équestre. Réalisatrice, scénariste et monteuse, la cinéaste nous livre ici une œuvre éminemment personnelle où il sera question de quête de soi, de sexualité et de genres. Eva, interprétée avec naturel et candeur par la quasi-inconnue Simone Bucio, est assise par terre dans un grand salon et à l'aide de noix de coco reproduit le son du trot du cheval. Chargée de ce travail de façon inattendue, reprenant le projet d’un(e) proche, Eva va devoir gagner en assurance pour accomplir sa mission et « apporter un supplément d'âme » comme le dira son nouveau patron en constatant son premier jet impersonnel.

Les éléments du films nous sont alors présentés : autant via le choix délibérément ambigu d’un-une acteur-actrice pour le rôle de la sœur, Simon(e) Paeteau au physique androgyne, ainsi que par cette réunion où Eva soumet ses premiers essais. Des essais qui sont alors critiqués par son patron, le spectateur comprenant alors que la quête d'Eva et sa métamorphose seront l'occasion pour le personnage de s'affirmer, de prendre en assurance et pour ce faire de partir à la quête de sa sensorialité.

S’il y a bien un point où le métrage réussit brillamment ce qu'il entreprend, c'est sur cette capacité à éveiller nos sens. Ceci grâce à un travail sur le son, traité avec une minutie devenue trop rare dans les productions : bruitages de trot, crépitements de fougères qui se déplient, un souffle court, un nœud noué, tous les sons prennent une dimension introspective et sensuelle. On l'aura alors vite compris, la particularité qui pousse en bas du dos de notre protagoniste ne sera là qu'en symbole de son émancipation et de la recherche de soi. Comble du paradoxe et histoire d'aller à fond dans son propos, la « queue » a des allures phalliques, symbole d'une prise (ou reprise) de pouvoir sur sa sexualité ouverte et de remise en question des rôles genrés de l'hétérosexualité.

Le film, sous ses allures de film indé/arty, mêle le fantastique et le merveilleux avec aisance. Le botaniste qu'Eva décide enfin d'aborder n'y verra pas là une déformation mais plutôt une source d'excitation et de mystère. Que ce soit lui ou les autres, personne ne s'interroge sur la présence de cette queue de cheval ou ne remet en question son existence. Cette nouvelle queue devient un indicateur de la personnalité grandissante d'Eva alors que le film se mue petit à petit en conte.

Réflexion sensorielle sur la question du genre et des fétiches, la mise en scène épouse ce point de vue. Tourné en pellicule, format 4/3, le grain de l'image donne une authenticité autant qu'une étrangeté poétique aux scènes. À la manière d'un Jacques Tourneur avec "La Féline" en 1942, où tout était question de jeux d'ombres et de perception, Ann Oren compose une mise en scène organique proche des corps et de leur sensibilité. En jouant sur la répétition des journées d'Eva ou de certains plans symboliques, comme celui des fougères hermaphrodite (le lien est plus qu'équivoque), la cinéaste nous donne ainsi les clés de compréhension nécessaires pour éviter que son message ne devienne abscons, seulement destiné aux initiés.

Et malgré quelques effets de styles, comme la détérioration de la pellicule, qui paraissent finalement assez artificiels et gratuits, on touche à une ambiance onirique à cheval (l'auteur se sentait investi d'une mission de faire une boutade) entre le surréalisme et l'authenticité. Même si les plaisirs fétichistes montrés dans le métrage ne parleront pas à la majorité (s'enfoncer une rose dans la gorge n'est peut-être pas du goût de tout le monde), ils sont montrés avec une véritable sensibilité d'écriture filmique. La sensualité grâce aux gros plans et la tension sexuelle des scènes avec le botaniste nous permettent de traverser les différents états d'Eva avec elle. L'empathie est complète et atteint un point d'orgue lors de la séquence de danse finale où notre héroïne se libère complètement en lâchant prise et en acceptant qui elle est.

Le film s’est vu récompensé par le prix du Jury de la trentième édition du Festival de Gérardmer, qu'il partage avec "La Montagne" de Thomas Salvador, lui aussi primé. Voyons dans ce prix l'envie et la curiosité de suivre une artiste comme Ann Oren continuer à explorer ses thématiques tout en utilisant intelligemment le médium cinématographique. En espérant que d'ici là les tics typiques des premiers long métrages (effets de styles tape à l’œil qui contredisent la mise en scène organique déployée jusqu'alors) auront laissé place à une démarche encore plus authentique et avec une vraie notion de rythme, car c'est aussi un point noir ici. Savourons le plaisir de voir des artistes s'attaquer à ces questions de genres et de sexualité, de niche ou pas, avec un vrai regard et l'envie de jouer avec les corps, leurs déformations, leurs excroissances, leurs évolutions au-delà de la norme. Qui a dit que "Piaffe" n'avait pas à sa place au Festival de Gérardmer ?

Germain BrévotEnvoyer un message au rédacteur

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