PETITES DANSEUSES
De l’ambiguïté des rêves d’enfant…
Jeanne, Olympe, Ida et Marie ont entre 6 et 10 ans. Toutes fréquentent les cours de danse classique de Muriel et rêvent de briller. Des rêves de petites filles, mais aussi des exigences qui relèvent déjà d’un monde très adulte…
Dans l’imaginaire collectif, les tableaux et sculptures d’Edgar Degas sont bien ancrés lorsqu’il s’agit de penser à de jeunes filles pratiquant la danse classique. D’une certaine façon, Anne-Claire Dolivet (monteuse qui saute le pas comme réalisatrice) s’inscrit dans la tradition degassienne avec son documentaire "Petites Danseuses" en filmant au plus près l’intimité des très jeunes Jeanne, Olympe, Ida et Marie, dans de vrais tableaux vivants qui entremêlent les entraînements, les concours, mais aussi leur vie quotidienne, où leur discipline de cœur tient une place prépondérante, si ce n’est envahissante.
Sans jugement, Dolivet montre à quel point la formation des jeunes danseuses s’inscrit dans un entre-deux où l’équilibre est difficile à établir entre passion et ambition, entre rêve et réalité, entre enfance et monde adulte. On peut ainsi ressentir une gêne en entendant certains propos d'enfants qui ne le sont déjà plus tout à fait, par exemple quand l’une des petites filles s’imagine déjà avoir une vie autonome avec un appartement alors qu’aucune des danseuses suivies par la réalisatrice n’a plus de 11 ans. Idem quand il est question de « CV » ou de divers termes qui ne sont pas supposés coller à l’enfance.
Les premières minutes abordent d’ailleurs rapidement cet aspect, à travers les répliques de Muriel, la prof de danse, lorsqu’elle s’adresse aux gamines : « au boulot », « les concours, tu vas en baver »… Non, nous ne sommes pas dans une pratique uniquement plaisir de la danse, mais bien dans une recherche d’excellence. Néanmoins, Muriel, véritable personnage au caractère unique, fascine dès le début par sa capacité à faire passer des messages avec bienveillance, tendresse et humour. Exigeante mais jamais cassante, elle multiplie les réparties aussi humaines que drôles pour pousser ses élèves vers le haut sans jamais leur mettre une pression écrasante sur le dos. La passion prime et Muriel délivre un discours de vérité, ne cachant à personne qu’il « faut bosser » pour atteindre les étoiles, mais estimant aussi qu’il ne faut pas non plus aller trop loin. Il y a d’ailleurs une scène formidable où elle reprend intelligemment une mère qui explique que sa petite Jeanne de 6 ans doit « se faire mal » pour aller vers la perfection.
La place des parents est peut-être un des points faibles du film. Certes, le choix de se focaliser sur les petites et sur leur professeure est pertinent dans ce dispositif d’immersion mis en place par la réalisatrice. Mais comme le documentaire interroge la dichotomie enfant/adulte (même si c’est implicite), il semblait nécessaire d’accorder un peu plus d’importance au rôle des parents. On ne peut en effet que se demander qui se projette réellement dans ces rêves de perfection : les jeunes filles ou/et leurs parents ? Mais les indices restent insuffisants pour développer notre réflexion de spectateur à ce sujet. Il y a par exemple ce moment où Olympe répond à sa sœur aînée que « c'est la faute des parents » si elle l’a imitée dans sa pratique de la danse car, au départ, elle voulait faire du théâtre !
Plane aussi la tyrannie du sourire permanent : « c'est le métier » ! Et également une autre : celle du poids, de la ligne. Ces filles-là naviguent bel et bien dans un univers qui n’est pas tout à fait celui de l’enfance. Comme une métaphore de ce monde étrange et en partie étranger, les accumulations de termes techniques (« chassé », « plié », etc.), clamées en musique par Muriel, ont des airs de langue étrangère qui déstabilisent tout néophyte.
Malgré toutes ces questions, il convient de constater que ces petites danseuses semblent heureuses et épanouies. Peut-être moins Jeanne, la plus jeune, qui paraît souvent perdue dans cet univers et dépassée par les enjeux malgré sa réussite. D’autre part, des moments d'amusement viennent rappeler que ce sont encore bel et bien des enfants. Ces scènes fonctionnent comme des moments de respirations, où la danse trouve tout de même souvent une place, par exemple lorsqu’elles organisent de faux concours dans la chambre de l’une d’elles.
Avec cette immersion, la réalisatrice parvient également à nous faire vibrer. Les scènes du concours à Deauville peuvent s’avérer tire-larmes si tout ce qui précède nous a permis de nous identifier à ces jeunes filles. Ces émotions sont aussi dues à la qualité d’écriture (notons à ce sujet la collaboration de Mathias Théry, coauteur de "La Sociologue et l’Ourson" et "La Cravate") et de mise en scène, bien que le film ne soit pas toujours homogène d’un point de vue stylistique – les dispositifs de caméras multiples produisent parfois de désagréables décalages dans la qualité des images lorsque les points de vue alternent (des problèmes d’étalonnage ?).
Les scènes de ralenti, les couleurs acidulées, les magnifiques gros plans, la musique de Malik Djoudi ou encore la mise en scène ouvertement artificielle de la séquence finale dans la forêt d’Ermenonville, voilà des exemples qui apportent une modernité cinématographique à ce documentaire qui donne parfois l’impression de regarder une sorte de "Bande de filles" dans l’univers pourtant très normé de la danse classique.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteurBANDE ANNONCE
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dimanche 18 octobre - 6h22