THE PEOPLE VS GEORGE LUCAS
Il n’y pas si longtemps, dans une industrie pas si lointaine…
Sortie Directe en DVD le 6 janvier 2014
Que l’on soit un fan ou un détracteur de l’univers de George Lucas, il est aujourd’hui impossible de dissocier la destinée de la saga "Star Wars" de l’image de son créateur, pour le coup assimilable à un artiste expérimental désormais acquis à la cause du divertissement ultralibéral. Le simple fait d’entendre Lucas « avouer sa défaite » en confessant être devenu le type même de businessman qu’il avait tant détesté à ses débuts ne peut désormais plus être balayé d’un revers de main par les fans, surtout si l’on en juge par le nombre astronomique d’analyses et d’infos hallucinantes qui ressortent de ce documentaire. Le constat qui en découle est sans appel : devenu lui-même son propre Dark Vador, Lucas ne pouvait qu’achever dans le ridicule l’univers fascinant qui avait fait rêver tant de spectateurs, quitte à perdre ou à égarer ceux qui l’avaient encensé. Presque un an avant de savoir si J.J. Abrams aura réussi son pari de nous faire retrouver la Force, il apparaît vital d’ouvrir les yeux sur une réalité pourtant tout sauf illusoire…
La réalité ? C’est tout simplement qu’on ne sait plus qui doit avoir le dernier mot : les fans de "Star Wars" qui ont contribué à faire vivre la flamme de la saga pendant plus de trente ans, ou son propre créateur qui n’a jamais cessé de vouloir « corriger » son œuvre avec plus ou moins d’opportunisme ? Construit sous forme d’épisodes et laissant filtrer l’humour derrière l’analyse à la manière d’un docu signé Michael Moore, "The People vs George Lucas" met donc les deux camps face à face sans chercher à prendre parti, en se focalisant sur quatre points successifs : la naissance du phénomène "Star Wars", la sortie des éditions spéciales de la première trilogie, la réception ultra-controversée de la « prélogie », et le travail des fans dans la conception de leurs propres films et parodies de l’univers en question. Ce qui en ressort est plus qu’un constat édifiant sur l’impact généralisé d’un univers culturel sur les foules. Il s’agit ici de capturer la façon dont une œuvre, une fois « offerte » à son public (même dans un état considéré comme « inachevé »), peut provoquer l’hystérie dans la joie comme dans le rejet, et doubler d’impact à partir du moment où l’artiste tente de revenir sur sa création.
La sortie des éditions spéciales pose donc d’entrée une question : l’artiste peut-il revenir sur son travail à partir du moment où il estime que celui-là n’a pas été fini correctement ? Les arguments sont légion pour justifier la théorie (toujours respecter la vision de l’artiste) comme pour la contester (De Vinci aurait-il eu le droit de corriger La Joconde s’il l’avait jugée inexacte ?), mais l’un d’entre eux prend le dessus sur tous les autres : l’évolution des mœurs sociales. De là viennent les reproches bel et bien fondés adressés à Lucas, aussi bien sur les éditions spéciales que sur la prélogie, qu’il s’agisse de la fameuse « affaire Greedo » (Han Solo a-t-il tiré le premier, ou s’est-il défendu ?), de la présence de Jar Jar Binks (est-il un nouveau sidekick à la C-3PO, ou un stéréotype raciste à l’humour pipi-caca ?), de l’explication du concept de « Force » (l’explication des « midi-chloriens » fait-elle le poids face à celle d’Obi-Wan Kenobi dans l’épisode IV ?) ou, plus généralement, de la façon dont la saga aura démarré de façon sérieuse et sensée pour finir par sombrer dans la pantalonnade infantile.
Car, oui, au-delà d’un homme d’affaires impitoyable ayant fini par considérer que les éditions spéciales feront oublier l’existence des montages originaux (ô sacrilège !), l’image de George Lucas se révèle être surtout celle d’un jeune artiste indépendant qui, face au triomphe planétaire de "Star Wars", aura fini par pervertir ses idéaux et par rester seul à la tête d’un empire cinématographique, désireux de satisfaire tous les publics (même les plus jeunes) et délesté de tout collaborateur qui serait tenté de le remettre en question. Les propos précieux du producteur Gary Kurtz (généralement considéré comme le principal responsable de la réussite des épisodes IV et V) en est une preuve indiscutable, de même que la présence de créatures poilues (les Ewoks du "Retour du Jedi" ou les Wookies d’un affreux téléfilm pour les fêtes de Noël) laissait déjà présager ce qu’allait devenir la future prélogie. Même le simple fait d’apprendre que Lucas était parti il y a longtemps en croisade contre la colorisation des vieux films (on ne touche pas à la mémoire du 7ème Art) laisse ici entendre que le bonhomme a dû soit changer son fusil d’épaule, soit renier tout ce en quoi il croyait.
Les fans eux-mêmes ne sont pas épargnés par le documentaire : si la passion et la croyance éperdue en l’imaginaire ne cesse de se dégager de chaque interview (c’est souvent très touchant), l’excès qui en ressort parfois est tout aussi surprenant. Entre les « fous » ayant payé une place de cinéma juste pour visionner la bande-annonce de "La menace fantôme" et les fanatiques consacrant leur vie à concevoir des parodies plus ou moins inspirées, le film investit une galaxie peu commune où la sincérité est souvent à deux doigts de côtoyer la folie. Mais la folie du fan cuisine parfois d’intéressantes analyses sous le couvercle de la parodie : à ce titre, outre un Jon Stewart et un Simon Pegg n’y allant pas de main morte pour révéler les incohérences de la prélogie, on aura droit à une parodie rigolote de "Misery", où une femme pousse un Lucas victime d’un accident à réécrire toute la prélogie telle qu’elle le souhaite ! Et lorsque l’on revoit cet épisode gonflé de "South Park" où Spielberg et Lucas rebidouillent leurs sagas respectives au point d’aller violer Indiana Jones (dont la quatrième aventure avait subi le même rejet), difficile de ne pas y voir la métaphore osée de ce qui aura autant inquiété la communauté "Star Wars" : la crainte pour chacun d’avoir vu s’évaporer son âme d’enfant.
Ne reste alors qu’une multitude de questions : tout ce cirque est-il si important que cela ? Un changement infime dans un film peut-il suffire à en trahir toute la substance ? Un fan peut-il se substituer au créateur dans la façon de protéger et d’entretenir l’esprit originel d’une œuvre ? Des interrogations qui trouveront néanmoins un point de convergence : tout dépend de l’importance que l’on accorde à l’œuvre en question. Au début du documentaire, on entendait un fan hurler face caméra : « Ne dites jamais que ce n’est qu’un film ! C’est beaucoup plus que cela ! ». Là encore, c’est une question de choix : les fans continueront de manifester tandis que les détracteurs persisteront à hausser les épaules, et chacun aura ses raisons. Entre esprits éclairés et fausses lumières, la guerre des « étoiles » est donc loin d’être finie. Vivement l’épisode VII pour vérifier tout cela…
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur