LA PART DES ANGES
Chacun sa part du gâteau
Après s'être quelque peu égaré avec son précédent film, « Route Irish », une sombre histoire de vengeance autour d'un soldat revenu du Moyen-Orient, Ken Loach nous revient au meilleur de sa forme, avec un film certes mineur, mais qui constitue un véritable feel-good movie, fort bienvenu pour cette fête du cinéma 2012. Résolument orienté comédie, « La Part des anges » observe les agissements d'une bande de jeunes, tous condamnés à des heures de travaux d'intérêt général, et qui, sous l'impulsion d'un éducateur plein de bonne volonté, vont tenter de se trouver une raison d'avancer.
Bien sûr, les ingrédients du scénario de Paul Laverty restent classiques, créant la compassion et la complicité avec son personnage principal en dépeignant un entourage difficile, une situation sociale délicate, propre à la persécution, et des enjeux personnels forts : éviter la prison, élever sereinement son enfant à venir... Ainsi, le personnage principal, Robbie, jeune père plutôt sympathique, est en proie à une haine ancestrale de la part de sa belle-famille, sorte de clan adverse auquel il est irrémédiablement lié. Créant ainsi une situation amoureuse à la « Roméo et Juliette », l'auteur choisit pourtant de se focaliser sur ce qui pourrait l'aider à trouver une nouvelle motivation, en l’occurrence un ingrédient inattendu : le whisky, boisson propre aux pires dérives mais ici source de toutes les convoitises et inspirations.
Mais reprenons depuis le début. Rapidement, Ken Loach introduit ses personnages comme de gentils ratés, autant coupables que victimes d'un système qui ne cesse de les rabaisser, pouvant donc générer chez eux une rage légitime. Ainsi les douloureuses sessions de pardon mutuel, organisées entre agresseurs et familles de victimes, sont-elles réellement efficaces ? Si ces dernières restent sur leur impression renvoyant au coupable un "vous n'êtes rien, vous n'êtes qu'un raté", l'agresseur peut-il avoir la moindre envie de changer de comportement, ne serait-ce que vis-à-vis de l'alcool, substance qui l'aura partiellement mené ici ? Et que faire quand il est impossible d'appeler la police, à la fois par manque de confiance, et parce que la délation, dans certains quartiers, fait passer pour un faible ou peut empirer une situation déjà délicate ?
Toujours sur le fil du rasoir, Robbie se recrée ainsi une nouvelle petite bande, reproduisant sur son lieu de châtiment, un schéma qui pourrait sceller définitivement son avenir social. Ils sont quatre, parmi lesquels une voleuse compulsive et surtout un idiot lunaire qui ne sait ni qui est la Joconde ni Einstein, et dont les autres aiment à se moquer gentiment en lui indiquant que ce dernier n'est autre que le "copain de Mona" (Lisa)... Présenté dans toute sa maladresse lors de l'hilarante première scène d'introduction (où un chef de gare se fait passer pour Dieu au micro afin de tenter de lui éviter de tomber sur les voies), ce personnage deviendra le plus attachant de cette cruelle fable des temps modernes.
Les anges de Ken Loach sont donc des gens qui n'ont que peu de chance dans la vie, des exclus malgré eux, ayant commis à un moment donné une erreur, et qui se retrouvent pris dans les engrenages d'un système qui les broie peu à peu. Mais ces marginaux n'ont-ils pas droit à une deuxième chance ou à une part du grand gâteau ? Le film de Ken Loach affirme clairement que si et les transforme pour notre plus grand plaisir en cambrioleurs du dimanche, faisant une fois de plus l'apologie d'une débrouillardise volontaire. Cette part à laquelle ils ont potentiellement droit, cette "part des anges", c'est justement ce whisky évaporé durant sa maturation, au sens propre comme, ici, au figuré.
En passant par la case arnaque, Loach pose ainsi son postulat : face à un système ingrat, tout est bon pour trouver un travail ou simplement s'offrir un nouveau départ que la société ne nous donnera jamais. Il nous livre ainsi un joli conte qui ménage quelques moments dramatiques et qui donne foi en la volonté de l'homme de s'en sortir, tout en se jouant des préjugés. Intelligemment écrit, "La Part de anges" épingle en sous-main les dérives du système financier (voir la tirade sur la "loi du marché", qui s'applique finalement même à ce qu'on vole...) et sécuritaire. Ainsi l'ahurissant et humiliant contrôle de police provoque à la fois rires et gêne, tout comme une tirade particulière, lors de la préparation du "coup", qui en dit long sur les difficultés pour certains à se débarrasser d'une image faite d'a priori : « on a tous des survêts... si on met des costards on aura l'air d'aller au tribunal ». Tout est dit.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur