OREINA
Perdu dans les eaux marécageuses…
Originaire du Sahara occidental, Khalil vit en Espagne depuis qu’il a six ans mais trouve difficilement sa place dans la société. Pour payer ses études, il multiplie les petites combines, fréquentant notamment José Ramón, un vieil homme qui braconne dans une zone marécageuse protégée et qui partage sa maison avec son frère, Martín, alors que tous deux ne s’adressent plus la parole depuis longtemps…
Après plusieurs courts-métrages et documentaires, "Oreina", primé au festival de San Sebastián en 2018, est le premier long métrage de fiction du réalisateur basque Koldo Almandoz. Surtout centré sur le personnage de Khalil, il met toutefois en scène cinq solitudes qui s’entrecroisent, parfois pour faire un bout de chemin ensemble, parfois pour se confronter. Le réalisateur choisit de présenter ces divers protagonistes de façon progressive, laissant planer le mystère sur certaines de leurs caractéristiques ou sur les liens qui les unissent. La révélation graduelle, par des détails ponctuels, parfois brefs et inattendus, est à double tranchant : elle maintient une certaine attention voire un peu de suspense, mais elle trouble aussi le spectateur, d’autant que la connexion entre les espaces filmés n’est pas non plus toujours très limpide.
L’ennui flotte souvent sur cette histoire assez taiseuse qui ne parvient jamais vraiment à proposer une mise en scène cohérente – par exemple, la caméra à l’épaule, qui n’est pas permanente, n’est pas toujours pertinente. La répétition de certaines scènes de transition ou d’observation, comme les réguliers trajets de Khalil à moto, donne l’impression d’un remplissage assez vain et vide, qui contribue certes à amplifier la mélancolie des personnages, mais crée également un étirement agaçant de la durée du film. Le scénario nous propose constamment des morceaux inaboutis ou des actes inattendus voire irrationnels, dont on peine parfois à saisir la signification ou la symbolique. On est souvent perplexe, comme face à la séquence où Martín fuit le cinéma en y laissant ses affaires, ou quand la parole se libère soudainement (et donc artificiellement) entre plusieurs protagonistes… Idem pour l’utilité du plan montrant la maîtresse de José Ramón utiliser les toilettes de ce dernier – d’autant que deux autres scènes d’urine en pleine nature (José Ramón et Khalil d’abord, puis la garde forestière) revêtent plus de sens : les personnages marquent formellement leur territoire au sein d’un espace à exploiter ou à protéger.
Koldo Almandoz gâche donc le potentiel réel de son film en manquant de clarté et d’homogénéité. Il y avait pourtant tellement à dire ou à montrer sur ces histoires parallèles. Il y avait aussi des signes d’inventivité dans la façon de filmer (comme ce plan hypnotique de Khalil et José Ramón dans leur barque, littéralement absorbés par les formes abstraites et mouvantes des reflets de la rivière) ou dans quelques effets de mise en scène (la pluie omniprésente, ou encore le contraste avec les figurants qui font de l’aviron ou du paddle sur la rivière…).
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur